lundi 27 avril 2009

VIGATA

« Montalbano s’assit sur le sable sec… il restait songeur, fumant une cigarette après l’autre, contemplant les variations de teintes du soleil, au fur et à mesure qu’il illuminait, s’élevant à partir des plus basses, les marches de l’escalier des turcs. »
La plupart des sites touristiques que nous avons visités en Sicile étaient mal fléchés, quasi introuvables et tous nous ont donné l’impression de faire des découvertes alors que nous étions dans des lieux hyper connus. C’était particulièrement le cas ce matin pour accéder à la scala dei turchi, une magnifique falaise de marne blanc, tombant à pic sur la mer houleuse. L’accès se fait par un chemin imprécis, qui est en fait l’ancien accès très accidenté à un chantier d’immeuble, heureusement abandonné, mais qui gâche assez irrémédiablement la magie du lieu en dressant au ras de la plage ses piliers inachevés et ses poutrelles grisailles. Le vent y soufflait en rafales puissantes, arrachant de minuscules morceaux de roche, et on avait l’impression d’être aussi érodés que les pierres ! J’ai eu mal aux yeux toute la journée à cause des grains de sable qui nous ont assaillis lors de notre escalade. Assis sur un encorbellement, un peu abrités du vent, nous avons lu quelques pages de « La concession du téléphone » de Camilleri. N’ayant pas de Montalbano sous la main, nous avons adoré cette histoire kafkaïenne d’un malheureux habitant de Vigata qui a, en 1891, l’hallucinante idée de vouloir installer le téléphone. En butte à la méfiance des politiques italiens contre tout ce qui leur semble mettre en péril le rattachement de la Sicile au continent et l’Unité de l’Italie, à l’hyprocrisie sociale de ces milieux clos, à l’obscurantisme bureaucratique le malheureux engage un combat titanesque dont il est peu probable qu’il sorte vainqueur. D’autant que Camilleri se fait un malin plaisir à multiplier les malentendus, rendant l’histoire ubuesque. Le lieu est spectaculaire et le vent a fini par dégager quelques rayons de soleil qui nous ont rendu cette halte littéraire particulièrement agréable.
Le site se trouvant à côté de Porto Empedocle, dont le panneau d’entrée porte en sous-titre « Vigàta » et qui a rebaptisé sa rue principale « Corso Montalbano », nous ne pouvions pas faire moins que de suivre les panneaux « commissariat » pour rendre hommage au célèbre héros de Camilleri. Nous avons ensuite déjeuné dans une tavola calda sur la plage. On voit sur la photo que la plage de Porto Empedocle, comme tant de sites en Sicile, a été purement et simplement massacrée par des cheminées d’usine qui descendent à même le sable. Quant à notre repas, c’était sans doute une bien piètre imitation des repas de gourmet que Montalbano « se mange », voire « se baffre » tout au long des romans de Camilleri. Les aubergistes avaient l’air surpris de recevoir de la visite, et j’ai eu le sentiment de poser une requête incongrue lorsque j’ai demandé s’il était possible de manger. On nous a proposé quelques plats de pâtes, en insistant sur le fait que c’était tout ce qu’on pouvait nous proposer. Nous avons déclaré que c’était largement suffisant et avons choisi au plus simple pour ne pas trop déranger ! Lorsque j’ai demandé au patron s’il avait par hasard un morceau provolone, il a pris un air harassé pour me dire qu’il avait un peu de parmesan ou d’emmental (sic) mais de fromage de brebis, point. Nous n’avons pas insisté et nous nous sommes éclipsés discrètement !

Nous avons ensuite visité Eraclea Minoe, un site grec implanté dans un cadre extraordinaire. On y voit assez peu de restes monumentaux, ils ont été terriblement érodés et sont fragilisés par l’air du large. Mais l’emplacement au dessus d’une immense plage de sable blanc, sauvage, déserte, battue par les vents, est saisissant. La visite vaut aussi pour les habitations grecques fort bien conservées qui ont été découvertes sur le plateau.
Le temps était très moyen, plutôt couvert, mais nous avons tout de même décidé de pousser jusqu’à Caltabellota, un village dressé sur un éperon rocheux à 900m d’altitude. Ayant décidément des déboires avoir les villages perchés, nous avons pu admirer son étagement contre la montagne lors de la grimpée, mais à peine étions nous arrivés au sommet que tout fut envahi par une brume humide et pénétrante. Le temps de se garer, et l’ermitage, le château, enfin tout ce que nous devions parcourir avait subitement disparu dans un épais nuage qui nous trempait jusqu’aux os. Quant à la vue sublime sur la mer promise par les guides, autant dire qu’elle ne dépassait pas le bout de nos chaussures ! Ayant déjà vécu cette aventure à Erice, nous avons préféré quitter Caltabellota avant de ne plus pouvoir retrouver notre voiture.
Revenant vers Agrigente, on traverse les immenses plantations d’orangers de Ribera, la ville sicilienne spécialisée dans la culture des agrumes. J’avais vu à l’aller un étal d’oranges énormes et fort appétissantes sur le bord d’une des impressionnantes propriétés agricoles qui jalonnent la route. Malheureusement au retour, plus personne. Michel, voulant me faire plaisir et pour me consoler de n’avoir pas rencontré Montalbano, m’offrir des oranges, s’est dirigé vers Ribera, gros bourg agricole assez ingrat. Nous l’avons parcouru en tous sens, et n’avons pas vu l’ombre d’une orange ! Pas même un de ces pourtant immanquables magasins de « Frutta e verdura » qui émaillent les rue italiennes. Le ciel triste et gris, les nuages de Caltabellota, la tristesse de n’avoir pas vu Montalbano en « pirsonne », les yeux brulés par le sable du matin, les oranges introuvables, l’humeur devenait un peu maussade en cette fin d’après-midi ! Soudain le ciel s’est dégagé, et nous avons eu un coucher de soleil sublime, d’autant plus appréciable que nous étions sur un site étonnant : les Macalube.

Il s’agit de terres argileuses, sous lesquelles une couche de méthane réchauffée par la nappe phréatique et par quelques courants volcaniques crée une sorte d’ébullition permanente du sol. De petits cratères surgissent ça et là, se gonflent de bulles qui, lentement crèvent et envoient des coulées d’argile liquide qui se solidifie en gras pavés sur les flancs de ces reliefs éphémères et aléatoires. Cette zone qui change sans cesse d’allure, est située dans un cadre très vert, et les reflets orangés du soleil tombant dans la mer faisaient à ces masses sombres et visqueuses, une toile de fond grandiose.
Pour finir la journée dignement, et avant de quitter la région (en fait, c’est une spécialité de Trapani, mais Agrigente n’en est pas si éloigné que cela) nous avons dégusté un cuscus de poisson d’une qualité largement supérieure à celle de notre premier essai. Un vrai régal, que Montalbano aurait, pour le coup, d’autant plus apprécié qu’il n’a pas l’air de connaître ce plat, car pour lui Trapani, c’est le bout du monde ! Surtout en matière culinaire !

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