samedi 25 avril 2009

UTOPIE OU MEGALOMANIE ?


En réglant ce matin notre chambre d’hôte, un dépliant attire mon attention : la fondation Orestiadi abrite dans le baglio Stefano de Gibellina la collection d’art contemporain la plus importante de Sicile. Cette fondation, basée aussi en Tunisie, se propose par ailleurs, par l’exposition de pièces artistiques allant du néolithique à nos jours, d’offrir une approche transversale de la Culture Méditerranéenne.
En route vers Gibellina Nuova. Le 15 janvier 1968 un tremblement de terre détruit la région, et particulièrement la ville de Gibellina, le fait le plus frappant étant l’effondrement de l’église qui accueillait une noce dont plus de la moitié des invités furent ensevelis sous les pierres. Tous les environs sont dévastés et dès 1970 on décide de construire une ville nouvelle à une vingtaine de kilomètres de la catastrophe. C’est Gibellina Nuova, dédiée à la mémoire des disparus et à l’art : de nombreux artistes participent à sa construction, puis plus tard à son ornementation. Partout des œuvres d’art moderne, plus ou moins heureuses, mais toujours monumentales. En ce jour de fête nationale, nous trouvons la ville déserte, un peu fantomatique, d’immenses avenues s’ouvrant en éventail sur des places qu’on dirait abandonnées, des rues piétonnes vides et des églises irréelles. C’est comme une utopie qui aurait tourné court, et cette ambiance spectrale laisse une impression étrange. Une ville inattendue, où chaque rue déploie de nouvelles surprises, un peu surdimensionnées, comme le sont les avenues trop larges et les places inoccupées. ­­­­­­­­

Nous trouvons assez difficilement le musée … consacré à l’art contemporain, et aux « trames méditerranéennes ». La halle aux grains offre, avec une mise en scène parfaite, une exposition de belles pièces contemporaines mêlées à quelques pièces tunisiennes anciennes, et à certains décors de théâtre somptueux ayant servi lors d’une mise en scène des Orestiades. La mise en place des œuvres est soigneusement sténographiée : derrière le rideau noir d’entrée, s’ouvre une porte de bois tunisienne, qui permet le passage vers la vaste salle plongée dans la pénombre dont vont surgir petit à petit, au fur et à mesure que notre œil s’habitue, des peintures, des installations, des compositions diverses mais toutes de qualité. Hallucinant un tel musée, et d’une telle qualité, dans une si petite ville, à peine 5000 âmes. Dans un autre bâtiment, un musée plus classique égrène des salles dont la vocation est de mettre en parallèle des œuvres populaires, tapis, céramiques, bijoux, vêtements de fête, du pourtour de la méditerranée. Le projet est de faire comprendre, à travers les âges, la « trame » de ces civilisations qui puisent leurs motifs et leurs sources d’inspiration dans un langage commun, de la Lybie à l’Espagne, du Maroc au Portugal, de la Sicile à la Tunisie en passant par l’Iran et le Yemen. Les motifs décoratifs se retrouvent, se reprennent, les couleurs sont les mêmes, les formes sont jumelles. On sent un métissage intense de modèles réinterprétés, et le bouillon de culture commun est bien mis en valeur par ces vitrines éclectiques. 

Après une orgie d’arrancini (et oui, encore !) dans le jardin botanique de la ville, nous partons vers Salemi, ville aussi durement touchée par le tremblement de terre, ce qui lui vaut d’avoir évité les constructions verrues des années 70 qui défigurent tout le reste des centres siciliens, et lui donne, restaurations intelligentes aidant, une allure délicieusement bien conservée. La ville est pavoisée de drapeaux colorés : on attend pour une conférence le vice président du Parlement du Tibet en exil, et la visite s’organise calmement. La cathédrale détruite n’a pas été refaite et elle s’offre à ciel ouvert en une étonnante place devant le château médiéval, consolidé et parfaitement restructuré. Plus loin, l’ancien collège des Jésuites annonce à grand renfort d’affiches une exposition consacrée à… l’adoration des bergers de Caravage. Dans une ville de 7000 habitants ! Francesco nous expliquera que le maire du lieu est très attaché à la culture et tient à créer l’événement dans son territoire. Il le suspecte d’être plus intéressé par les retombées en termes d’image personnelle que ces initiatives lui valent que par l’art proprement dit ! Impossible pourtant de rater cet événement, nous attendons donc l’heure d’ouverture en parcourant les ruelles pentues de la ville ancienne, ponctuées d’églises baroques et d’élégantes façades. Le Caravage, prêté par le musée de Messine nous retient longuement, perdus dans la contemplation toujours émerveillée des jeux de lumière émergente et de la savante composition qui sont les caractères habituels du peintre. C’est, bien sûr, une œuvre de la fin de sa vie, inquiète et humble, mais remarquable.
Nous quittons Salemi avant l’arrivée du tibétain, car l’ambiance s’affole un peu, ente officiels (dont le maire « people ») et spectateurs ceints d’écharpes jaunes ou safran et allons « visiter » Gibellina Vecchia, la ville détruite ayant été arasée et recouverte d’un manteau de ciment blanc qui en conserve la structure et les rues fortement inclinées. Cela donne une impression de mémorial très émouvant, mais pas sinistre du tout. Les herbes folles qui poussent entre les blocs des silhouettes de maisons suggérées sont comme autant d’hommages furtifs et improvisés à ces centaines de morts lors de la catastrophe. Ce qui prévaut, c’est encore un sentiment d’improbable, d’inattendu, et de profondément marquant.
Pour rejoindre la route d’Agrigente, nous traversons d’autres villages martyres, des pans de murs abattus, des ferrailles arrachées, des rues abandonnées, partout les ruines des habitations détruites se dressent comme autant de souvenirs inquiétants, aucune vie n’y ayant plus place. De nouvelles villes se sont développées plus loin, pas avec le même art urbanistique que Gibellina, mais toujours tournant le dos à ces moments d’horreur.
Notre nouvelle chambre d’hôte située au centre d’Agrigente est, encore, une maison de famille entièrement et très confortablement rénovée. Notre hôte Francesco nous accueille avec beaucoup d’égards, nous installe dans un véritable appartement, nous fait visiter la fierté de la maison, les terrasses du petit déjeuner d’où l’on bénéficie d’une vue éblouissante sur Agrigente et sur la vallée des Temples. Il nous raconte la généalogie de sa famille, son arrière-grand-mère qui s’est retrouvée seule à la tête de cet immense immeuble qu’elle ne pouvait plus entretenir et qu’elle a loué à un aubergiste. Plus tard, l’aubergiste a racheté le rez de chaussée et le 1er étage. Heureusement la mère de Francesco avait conservé le second et surtout le troisième, là où se déploient les terrasses qui font le charme du lieu. Francesco a courageusement réparé, aménagé, décoré ce qui lui restait et en a fait la plus belle chambre d’hôte de Sicile, saluée par tous ses visiteurs comme un lieu d’exception. Notre suite est spacieuse et sobre, on a déjà envie d’y passer plusieurs jours pour découvrir Agrigento et sa région. En attendant, c’est un des avantages des chambres d’hôte, Francesco nous conseille un petit restaurant totalement invisible au fond d’une cour dans une venelle sombre. Et l’on y déguste quelques plats siciliens fort bien cuisinés.

1 commentaire:

  1. Époustouflante, cette presque traversée en Mer Rouge !

    On voit que de tout temps les hommes ont mis plus l'emphase sur les catastrophes (et les retombées sur les grands comme tu le soulignes si justement) que le quotidien et ses petites misères.

    Les pays choisis pour recevoir les Olympiques (est-ce que cela remonte aux Romains ?) deviennent mégalomaniaques et versent dans l'utopie.
    L'homme apprend moins vite que la vache qui se pique au fil électrique de la clôture: "On ne m'y reprendra plus", se dit-elle. Pas l'homme...

    RépondreSupprimer

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