vendredi 8 janvier 2010

UNE EDUCATION ARTISTIQUE - 4 - ABSTRACTION LYRIQUE

C’est au fil de cette attitude nécessairement laborieuse que nous avons décidé, il y a peu, de nous motiver encore plus dans nos découvertes en jouant à croire que nous allons investir, et acheter des œuvres contemporaines. Le ferons-nous vraiment, rien n’est moins certain, mais la démarche a le mérite de nous stimuler et de nous forcer à être plus critiques. Si nous sommes vraiment destinés à investir, il faut dans un premier temps se faire une opinion qui ne soit plus superficielle, et aborder le sujet de façon plus approfondie. Pour l’heure, restant finalement très sages dans notre approche, nous nous sommes découvert une passion pour l’abstraction lyrique, forme qui a dès l’abord le mérite d’offrir un nom qui, à lui seul, est tout un programme !! Et les modes d’expression actuels sont tellement nombreux, qu’il nous faut bien commencer à dérouler l’écheveau par un bout !
C’est Alter qui, cherchant sur le net des œuvres de Zao Wou Ki, qui nous avait séduits par la force de son trait et son esthétique visionnaire, a le premier « appris » la notion et "découvert" l’abstraction lyrique. Si le peintre chinois presque nonagénaire n’en est pas l’initiateur, il est d’usage d’admettre qu’il en est l’un des plus illustres représentants . Nous avions aimé mais sans donner de nom au courant, en son temps, les toiles de Georges Mathieu, apprécié à Poitiers ou à Tours Olivier Debré et même, vibré avec vous, les filles, lors de l’exposition consacrée en 2003 par Beaubourg à Nicolas de Stael. Vous en souvient-il ? Nous avions été passionnés par le parcours éblouissant de ce peintre russe, un peu maudit, un peu dépressif, mort si jeune (41 ans) que la fougue de ses toiles reste pure et ne saurait être suspectée de vouloir nous leurrer.

En cherchant Zao Wou Ki, Alter a trouvé un de ses disciples, ou tout au moins un autre chinois très en cour actuellement dans les milieux de l’art : Wang Yan Cheng. Plus calligraphe qu’abstrait, l’artiste offre un travail exaltant et exalté qui sublime la nature et, à travers un trait fougueux, dit avec élégance le frémissement de l'eau, l'immensité du ciel et l’infini richesse de la Création. Il nous fallait le voir « pour de vrai », après que les photos de ses œuvres nous eussent séduits. Nous avons profité de notre récent séjour à Paris pour aller voir les toiles qu’expose de lui la Galerie Protée, qui l’a lancé dans les années 90 et a fait de lui une coqueluche des milieux bien documentés. Nous avons craqué, en théorie tout au moins car notre compte en banque ne saurait y pourvoir, pour une toile du lui sobrement intitulée "Juste mauve et or", qui fait vibrer en une superbe symphonie lacustre une palette riche, foisonnante, bien que parfois un peu trop empâtée.
Comme le dit Anne fort justement, "Le discours n'est pas l'oeuvre et le discours sur l'oeuvre peut nous en éloigner." ... Je me méfie comme de la peste, en matière d'art contemporain, des discours verbeux et des considérations oiseuses qui me rappellent à n'en pas douter les dissertations filandreuses que je pondais durant mes études de droit quand je ne savais pas grand chose sur un sujet, et qui, allez savoir pourquoi, parvenaient à duper ainsi mes correcteurs, me valant parfois des notes mirobolantes. Maniant le verbe avec une certaine aisance (pardon de ce manque de modestie mais comme c'est à peu près mon seul talent, je préfère ne pas feindre), je sais comment on peut parfois se noyer dans le babillage et d'éblouir son lecteur au motif qu'on lui bassine sans aucune retenue des mots ampoulés et des tournures savantes. Pourtant, comme le dit Anne "... l'émotion ressentie face à - ou parfois dans - l'oeuvre s'affine avec la réflexion que le discours contient sans perdre sa force première. C'est la subtilité qui donne à l'émotion sa durée". Il faut donc avoir un support raisonné pour apprécier vraiment, et que ce support ne soit pas un salmigondis destiné à remplir le vide et à feindre l'important où il n'y aurait que broutilles. Art difficile s'il en est, surtout quand on est dans un domaine ductile et mal fixé.

Or, je cite encore Anne " il ne faut pas confondre l'art et le marché de l'art. Que restera-t-il? Comment trier? Quelles seront les "valeurs sûres"? Est-ce plus important de le savoir que de penser aux conséquences de l'oeuvre, les modifications qu'elle a opérées dans l'âme du "regardeur"? Que vise l'artiste? Est-il vraiment intéressé par son passage à la postérité ou, à l'instar de Duchamp, cherche-t-il à faire de sa vie une oeuvre d'art?".
Revenons à Cheng. Lydia Harambourg dans le livre qui lui est consacré au Cercle d'Art, nous livre à son propos un brouet qui ressemble beaucoup à ce que je déplorais plus haut, et j'avoue que la lecture m'en a considérablement exaspérée, me renvoyant à une sorte de recherche pédante d'une justification qui, si l'oeuvre est réussie, n'a pas lieu d'être construite de façon aussi factice. Sans doute mon côté binaire, mais l'intellectualisme de bon aloi me donne des boutons. Par contre, le propos de Dong Qiang, dans le même ouvrage, simple, limpide, m'a permis de mieux apprécier Cheng, même si ses toiles restent pour nous inaccessibles, et promettent de l'être de plus en plus. D'après les galeristes qui le pratiquent le bonhomme est aussi fin homme d'affaire qu'artiste talentueux, et il gère sa carrière, boostée par Protée, de main de maitre. Il sait se faire désirer, peindre avec parcimonie ce qui plaît et placer ses oeuvres aux bons endroits. Opéra de Pékin, inauguration de la Cité interdite, Banques Nationales chinoises, bref, un vrai stratège. Qu'on m'entende bien cela n'enlève rien à son talent d'artiste, le mythe du peintre marginal, incompris, bohème et affamé n'étant absolument pas incontournable.
Dong Qiang donc parle bien de son protégé et je me permets de vous livrer, pour illustrer mes photos, quelques unes de ses réflexions.

"Reste que les paysages chinois classiques sont froids. En les rendant mentaux, les peintres chinois les ont aussi décharnés. Or, qaund on regard les abstractions de Zao Wou-ki, de Chu Teh-Chun et de Wang Yan Cheng, on a tout sauf froid. Nous avons affaire au plus haut degré d'expression." Il revient ensuite sur la notion d'abstraction froide qui, selon lui, est à l'opposé de l'abstraction lyrique. "C'est en réaction à la charge de tous les sacrés qui le dépassent que l'homme a fait appel à des formes abstraites pour transcender le monde extérieur qu'il renie". Les abstraits froids, comme Mondrian, s'adressent à la forme mathématique, à l'invisible pour tenter de révéler des lois intérieures, au-delà du visible. Alors que, selon l'auteur, avec Cheng "l'abstraction n'est aucunement le résultat d'une angoisse... C'est cette capacité extrêmement orientale (je dirais extrême-orientale) de combiner les contraires et d'entrer dans la matière qui nourrit le travail de Wang. Avec son ouverture au monde au lieu de le transcender, Wang Yan Cheng dote ses tableaux d'une force physique extraordinaire, pour ainsi dire nourrie du monde."

Et de fait, si l'on apprend (il faut se former n'est-ce pas ?) que les tableaux d'il y a une douzaine d'année manquaient encore de caractère (zut... a priori c'étaient ceux qui me plaisaient le plus), son oeuvre actuelle est musclée, énergique et reflète une intériorisation du paysage qui, paradoxalement, explose et vibre pour notre plus grand bonheur : celui de la contemplation pure. Celle qui est sur la voie du "scotchage" du spectateur !!! Puisque c'est finalement ce que nous espérons tous d'une oeuvre d'art, qu'elle nous retienne, qu'elle nous séduise, voire qu'elle nous éblouisse.

9 commentaires:

  1. Michelaise, j'espère que vous n'allez pas vous arrêter en si bon chemin. Pardonnez-moi de vous donner ainsi du "travail", mais vos quatre publications en appellent d'autres que je serai ravie de découvrir, si vous le voulez bien.
    Anne

    RépondreSupprimer
  2. Encore un article passionnant. J'aime énormément les œuvres que tu as choisies pour illustrer ce courant.
    Tu as raison, tu manies l'écrit avec virtuosité et te lire est un réel plaisir.

    RépondreSupprimer
  3. Je te parlais dans un précédent commentaire des oeuvres qui me parlent et me donnent le frisson... C'est exactement ce que j'ai ressenti en regardant les photos que tu as mises dans cet article. Le premier tableau en particulier a provoqué en moi une vive émotion que je ne saurais expliquer ni même mettre en vers dans un joli poème. Je sens cette toile vivre en moi. Les traits m'emportent dans un flot d'images et avec mes mots un peu simplistes, je ne peux que dire que "j'aime ça", tout simplement.
    Merci pour ce beau partage si enrichissant.

    RépondreSupprimer
  4. Et voilà Oxy, pas de doute tu SAIS reconnaitre le talent et tu peux être sans complexe, bien que tu nous crois savantes, et que tu te penses ignare. La première toile (en fait on voit le titre et/ou l'auteur en passant la souris dessus) c'est une oeuvre de Zao Wou-Ki, le maitre chinois, 88 ans je crois et certainement beaucoup plus virtuose que le jeune Cheng... en tout cas je suis heureuse que ton regard "vierge" l'ai distingué !

    RépondreSupprimer
  5. Merci Astheval et pardon de me faire mousser, mais j'aimerais tant manier le pinceau comme les mots, avec un peu de souplesse...
    Anne, votre attention me flatte merci de cet intérêt réel pour ces articles.

    RépondreSupprimer
  6. un futur tres grand de l art chinois contemporain ce Yan Cheng

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui sans doute !! il a un réel talent qui "accroche" même l'improbable amateur d'art contemporain que je suis !

      Supprimer
  7. Un article magnifique pour un sujet qui ne l'est pas moins .

    RépondreSupprimer
  8. Je partage cet engouement pour Wang Yan Cheng. Et aussi les réserves sur les textes de Mme Harambourg, peut êtres savants mais un peu pompeux. En tout cas les reproductions des tableaux justifient l’achat du bouquin.

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...