mardi 30 octobre 2012

QUATUORS A FAYENCE édition 2012



C’est à fréquenter assidument les concours de quatuors à cordes que, pour nous, Fayence est devenu mythique ! Car pour un ensemble, LA référence, LE festival où il fait bon avoir été invité, c’est Fayence. Il faut dire que la liste des « anciens » ici est prestigieuse : Arpeggione, Fine Arts Quartet, Melos, Nuovo Quartetto Italiano… Les « jeunes » quatuors rêvent d’y être invités, et si Dover, Schumman ou  Zaïde ne figurent pas encore dans la longue énumération des précédentes éditions, on y trouve Modigliani, Ebène, Voce et Zemlinsky !! Tiens tiens !! Les organisateurs n’ont pas encore invité Arcadia qui a gagné Londres cette année … cela ne saurait tarder !

Cette année, c’est le quatuor Ysaÿe qui offre à cette poignée d’amateurs éclairés que sont les festivaliers du Pays de Fayence, l’intégrale des quatuors de Beethoven. Excusez du peu, mais tant  par la programmation que par les artistes, il y avait que quoi mettre Alter en apesanteur… Alter car, moi, a priori, j’aurais préféré Schubert, mais j’admets volontiers que l’intégrale des quatuors de Beethoven est, en matière de musique de chambre, l’aventure absolue ! Mais cela demande un peu de préparation, et croyez-moi, cela fut fait avec  beaucoup de sérieux.  Car ce n’était pas l’audition du quatuor opus 127, 25 fois répété par les « moins de 120 » du concours de Bordeaux, de Londres ou de Reggio, qui pouvait suffire à nous faire comprendre le souffle de ces œuvres magistrales.
Donc Alter s’est plongé dans quelques ouvrages de référence, dont il m’a rapporté avec beaucoup de patience le résumé à la portée d’une petite Michelaise qui n’aime pas trop qu’on l’assomme de termes techniques, il nous a égrené au fils des soirées d’octobre chaque soir un ou deux quatuors par des interprètes soigneusement choisis, le quatuor Alban Berg, (les versions que nous avions ne faisaient pas l’affaire), un coffret de CD longuement et impatiemment attendu (« ils vont arriver en novembre si ça continue ») car expédié des Etats Unis, bref, nous sommes arrivés bien coachés !


Les concerts se déroulent chaque soir dans une église du pays de Fayence, une initiative qui, lorsqu’elle fut créée (le Festival a 24 ans) était originale et qui permet à chacun d’avoir « son » concert. Seillans, Mons, Tourettes, Saint-Paul en Forêt, Callians… cela mérite d’être salué car nous sommes dans le Midi, et la tentation de simplifier en faisant tout à Saint-Raphaël a été écartée, pour une plus grande diffusion dans chaque village,. Alors qu'ici d'ordinaire, « tout se passe » sur la Côte ! Certes l’ambiance reste très « parisienne »,  et on ne retrouve pas ici ce côté bon enfant de nos « Jeudis Musicaux » : on est entre gens sérieux, on croise quelques Porsche ou des voitures immatriculées à Monaco, le concert commence à l’heure (ce qui est génial !) et pas question d’entendre une mouche voler dans les rangs ! On est loin de la joyeuse indulgence de Yann le Calvet qui, à juste titre, refuse d’expliquer aux gens qu’il vaut mieux ne pas applaudir entre les mouvements, jugeant qu’il est plus important d’ouvrir la musique au plus grand nombre, fut-ce au prix de quelques inconforts pour les puristes. Les susdits puristes étant priés d’être patients, et, de fait, le public « de campagne » comprend très vite ce qu’il en est.
Pas de présentation des morceaux non plus, ici on est « entre spécialistes » et on sait ce qui va se passer. Voire ?? Yann quant à lui, tient beaucoup à ces présentations par les artistes et je puis vous assurer que cela change la qualité de l’audition, car le public, prévenu, est nettement plus attentif. Cela vaut pour des concerts lambda, mais à Fayence, point n’est besoin de cela pour avoir une qualité d’écoute de luxe ! Je l’ai dit, on est ici entre « amateurs » au sens le plus noble du terme, et si l’ambiance est un brin démodée, ce que je tentais d’expliquer par ces références à nos « Jeudis Musicaux », véritable démocratisation de la musique qui fait et a fait ses preuves, Fayence nous ramène à l’atmosphère très particulière et tellement agréable des concerts de musique de chambre. Un genre qui a ses adeptes, très différents de ceux qui courent les concerts de piano, même si l’un n’est pas exclusif de l’autre.


Le Quatuor Ysaÿe donc, est l’invité d'honneur du Festival. 2012 Chaque soir trois quatuors, un des « premiers », l’opus 18, alors que Beethoven n’était pas encore totalement détaché de ses illustres prédécesseurs, Mozart et Haydn. Puis un quatuor de la période intermédiaire, et enfin, un des « grands quatuors », les opus 127 et 130 à 133, ces œuvres de la maturité dont le jeu demande une grande intelligence car ils sont beaucoup plus difficiles à comprendre, tant ils sont complexes, denses et finalement plus aboutis.
Fayence, 1er concert, après le 1er quatuor, Alter, extatique :
-          C’est un vieux Saint Émilion, aux tanins bien fondus
-           ??
-          Oui, je trouve le vocabulaire du vin parfaitement adapté à l’interprétation de la musique de chambre. On n’a pas l’habitude d’avoir de si bons vins !!
Un quatuor plus loin, j’avoue que je partage totalement cette approche :
-          Tu as raison, les jeunes quatuors que nous entendons d’ordinaire, sont comme de jeunes vins : on sent les qualités qu’ils développeront quand ils seront plus mûrs, mais certains défauts ressemblent à ceux des vins jeunes : une certaine âpreté, parfois un peu trop de verdeur, trop de fougue…
-          Et là, Ysaÿe, c’est rond, fondu, délicat et parfaitement équilibré…
-          As-tu remarqué, que comme pour un bon vin, il faut que ce soit décanté !
-          C'est idéalement décanté !!
-          Et aéré ! Avec Yasÿe, l’air circule entre les notes, aucune lourdeur, tout est lié, évident, bien oxygéné !


Un quatuor plus loin, l’enthousiasme est à son comble :
-          Il me semble que ce serait presque un Pomerol.
-          Un excellent Pomerol ...
-          Mais pas si vieux que ça…
-          Si ! Un grand !!
-          Non, plutôt à l’apogée de sa carrière ! bien épanoui !
-          Oui, oui…
-          Et dans cette optique, la version Alban Berg, ce serait un Médoc … ou un Cahors ?
-          Plutôt un remarquable Médoc.
-          Plus charpenté donc ?
-          Oui, moins en finesse, plus tannique.
-          Voilà pourquoi je préfère, et de loin, l’interprétation d’Ysaÿe !
Et voilà, que nous allons déguster ce cru de roi tous les soirs pendant une semaine entière ! Avec quelques petits complément de qualité, comme le quatuor Rosamonde, Emmanuel Strosser... Pas de doute, nous sommes ici entre amoureux de la musique de chambre : on retrouve même des têtes "connues", croisées à Reggio ou à Bordeaux. Et vous "verriez" la qualité d'écoute ! Personne ne bouge ni pied ni patte durant l'exécution. A la fin de chaque mouvement, on s'ébroue discrètement (les bancs d'église restent des bancs d'église, durs et inconfortables), les couples échangent des regards complices, amusés ou admiratifs, presque personne ne dort, et, suprême luxe, à la fin d'un morceau, il y a toujours un petit instant de silence... l'air est en suspension et on sort de la magie doucement avant d'applaudir.

dimanche 28 octobre 2012

GOYA EN "SON" MUSEE de CASTRES

 Suite de :

Trois peintures de Goya au musée, œuvres offertes par le mécène Briguiboul qui, malgré sa fortune, s'endetta pour les acquérir... Elles sont devenues les fleurons de cet établissement qui, d'ailleurs, prit le nom du maître à la fin des année 40... l'hommage s'imposait.


La première est le portrait de Don Francisco del Mazo, peint en 1815. Il occupait alors le poste de premier comptable du Mont de Pitié des Caballejos Hijosdalgos de Madrid, tout en étant lié à l'Inquisition puisqu'il était aussi huissier principal du Tribunal ecclésiastique de Logroño. Il est possible que le modèle se soit fait portraiturer à l'occasion d'une promotion sociale, peut-être son anoblissement. La palette est restreinte mais les noirs profonds et la touche enlevée en font un portrait plein d'intensité. La mâchoire massive, presque proéminente du personnage, sa bouche à la moue dédaigneuse, ses yeux vifs et son nez épaté rendent avec précision la personnalité forcément énergique et avisée de del Mazo.
C'est grâce à une inscription du billet tenu dans la main droite et aussi en raison de la redingote à col haut dite "à l'anglaise", à la mode en Espagne après la chute de l'Empire Napoléonien, que l’œuvre a pu être datée des alentours de 1815. Une anecdote veut que Goya ait un jour écrit à un ami qu'il fallait payer plus cher lorsque les mains du modèle, morceau de bravoure, devaient être apparentes. Francisco del Mazo n'a pas dû payer le prix le plus élevé puisque ses mains n'apparaissent pas vraiment, l'une étant cachée par le billet et l'autre glissée dans le gilet !!


La seconde œuvre est l'émouvant autoportrait de l'artiste dit "aux lunettes". Le peintre a cinquante-trois ans ; il est au faîte de sa gloire en sa qualité, nouvelle en 1799, de premier peintre de la Chambre. Son regard, par-dessus les lunettes, trahit la presbytie. Goya aurait pu se priver de les représenter par coquetterie. Mais outre le fait qu'il en avait besoin pour peindre, cette disposition relève du regard lucide, dénué de complaisance, qu’il portait sur toute chose, y compris lui-même. La veste, de soie ou de velours vert, est négligemment ouverte sur une cravate blanche qui entoure le cou massif.  La chevelure, encore dense pour son âge, est tirée en arrière et les favoris, longs et fournis, piquetés de quelques cheveux blancs, dévoilent une oreille à peine suggérée. Les joues sont pleines, les lèvres charnues, le front haut, le menton fort et volontaire. Le regard est sombre, Goya n'y a posé aucun éclat blanc dans la prunelle ou l'iris de l’œil ! 
Par contre, des éclats de blanc sur les boutons et le devant de la veste ajoutent à la densité de la composition en jouant avec une grande économie de moyens avec la lumière.


Quand on s’arrête devant la troisième toile de Goya, immense et étrangement dénommée « La junte des Philippines », on se sent un peu accablé, voire écrasé par ce sujet a priori ingrat : l’assemblée générale d’une quelconque compagnie de marchands, présentée frontalement, de façon totalement, voire sinistrement, symétrique, et coupée en fond par une assemblée de fantoches alignés comme les têtes ébahies d’un jeu de massacre. On étouffe un bâillement, et puis on tente de se motiver, enfin diable, c’est un Goya, il faut s’appliquer un peu.
Pourtant, quand on découvre les secrets de cette toile étonnante, on doit bien s’avouer que le génie, fut-il au service d’une cause perdue, reste un élément incontournable.


C’est le 7 mai 1881 que Marcel Briguiboul acquit cette toile, cachée et oubliée depuis un siècle. Fondée en 1785, la Compagnie des Philippines défendait les intérêts mercantiles des négociants espagnols en Extrême Orient et elle tenait chaque année son assemblée générale. Celle du 30 mars 1815 fut particulièrement mémorable puisque le roi Ferdinand VII vint la présider. Parmi les membres du bureau se trouvait le président de la Compagnie, Miguel de Lardizabal, ardent patriote, partisan loyal de Ferdinand durant l’occupation française et, de surcroît ministre des Indes. C’est à lui que la Compagnie demande, 15 jours après ce moment « historique » d’immortaliser l’événement en commandant à Goya un tableau commémoratif. Le 20 avril, Lardizabal donnait son accord et contactait le peintre pour lui passer commande.



Mais il en va des carrières comme du soutien des puissants, Lardizabal déplut et, en septembre de la même année, il fut exilé par son souverain. Du coup, le peintre, sans doute en accord avec ses commanditaires, ne put le représenter aux côtés du roi, et il le plaça, de façon un peu provocatrice, dans l’embrasure d’une porte, sur la gauche du tableau. Dès lors, la toile devint gênante, voire critique, et elle disparut pendant plus d’un siècle. Il faut avouer que Goya, non content d’avoir marqué, par la présence de Lardizabal, une certaine méfiance à l’égard du pouvoir royal, en rajoute dans la critique implicite. Il n’est qu’à contempler ce jeu de sinistres marionnettes, alignées comme pour un jeu de massacre où l’on manierait volontiers la balle pour les faire tomber !


Face au retour d’exil de Ferdinand VII et à la réaction absolutiste de 1815, le peintre, attaché aux idées libérales et aux Lumières, met en scène une véritable assemblée de personnages aussi impersonnelle que le cadre vaguement calamiteux dans lequel il a placé la réunion. Grâce à une palette restreinte d’ocres et de gris diversement colorés, il baigne l’ensemble dans une ambiance de pénombre aux tons étouffés, rendant à la perfection la subtile atmosphère feutrée et éteinte de la piteuse salle d’apparat.


Les obliques du tapis et de la fenêtre convergent vers le roi, pendant que de part et d’autre du tableau, il pose les groupes de courtisans, détaillés avec une acuité extrême. Agités, assoupis, un peu veules, les actionnaires en titre forment une brochette assez désespérante d’humanité flatteuse et  de flagorneurs obséquieux. 


C’est la lumière qui tient ici le premier rôle : jaillissant de l’embrasure blanche de gauche, elle s’écoule vers le sol, caresse le superbe tapis d’Orient (forcément !!) effleure sans concession le roi et les personnages du bureau, et ricoche, faussement innocente, sur le ministre déchu, débout sur la gauche de la composition.

 
Il eut fallu être bien aveugle pour ne pas voir dans cette toile, croquée avec une étonnante modernité, sans détail superflu, la critique à peine déguisée d’un absolutisme imbécile et de la veulerie des courtisans. Seuls les caricaturistes anglais ont osé traiter le pouvoir avec autant d’irrespect.

Le peintre connaît dès lors, une période de plus en plus sombre. Certes, il conserve sa place de Premier peintre de la Chambre, mais s’alarme de la réaction absolutiste qui ne cesse de s’aggraver. Inquiété par l'Inquisition pour avoir peint la La Maja nue, frappé à nouveau par la maladie qui l'avait laissé sourd, écœuré par la politique réactionnaire de son roi, Goya fixe ses angoisses et ses désillusions dans les fameuses Peintures noires dont il décora les parois de la « maison du sourd » (située dans les environs de Madrid et achetée par le peintre en 1819). Et en 1824, il prétexte un voyage de santé et vient définitivement se fixer à Bordeaux où il meurt en 1828. Ville qui se fait une gloire de la présence du maitre en ses murs durant quelques années, au point que je croyais, jeune fille, que Goya était tout simplement bordelais !


Je parlais au début de ce billet du génie de l’artiste, génie au service d’une critique sociale toujours présente, une intense puissance de suggestion étayée par une parfaite maîtrise de la couleur et de l’espace. Son œuvre ne peut jamais laisser indifférent, même dans un tableau aussi peu affriolant !

Pour le reste le musée possède 4 séries gravées complètes du maître : la Tauromachie, les Désastres de la Guerre, les Caprices et les Proverbes. Ces gravures, fragiles, ne sont pourtant pas exposées en permanence, mais par roulement et seulement de manière exceptionnelle. Comme, par exemple, quand nous y sommes passés, étaient exposés les Caprices dans le cadre d'une exposition temporaire "La conquête d'un rêve éveillé : Hybrides et Chimères à Castres"... Mais c'est, encore une fois, une autre histoire.

A SUIVRE
Castres : Francisco Pacheco le maitre de Velasquez
Castres : la conquête d'un rêve éveillé : Hybrides et Chimères

jeudi 25 octobre 2012

J'AI RENCONTRÉ PATRICIA OLIVE


Elle exposait depuis le début de l'été et jusqu'à fin octobre dans les salons du Grand Hôtel Barrière de Dinard (il vous reste 6 jours pour y courir !!). Du vif argent, cette femme ! Elle peint et elle aime ça... et croyez-moi, ça se voit ! ça se voit à la façon passionnée dont elle en parle, ça se voit aussi dans sa peinture qui traduit une sorte de jubilation interne, discrètement teintée de nostalgie. Une pointe de spleen dans un monde épuré.
Elle a commencé toute petite, et très vite elle a eu envie "d'apprendre". Elle a d’abord travaillé dans l'atelier d'un peintre local qui s'est taillé une certaine réputation : Jean Gobaille (1895-1969). Admis au Salon des artistes français en 1930, il y expose entre 1930 et 1935 ; il honora plusieurs commandes de l’État, son style clair et simple se caractérisant par un amour prononcé des rendus de lumières : lumières de réverbères, lueurs d'incendie, clarté d'un rayon de soleil qui vient éclairer une scène, soleil ricochant dans un sous-bois, Gobaille aimait à rendre ces sensations fugitives qui parfois nous éblouissent, le temps d'une impression. 

 
Avec Jean Gobaille, Patricia Olive a appris à manier une palette simple, voire restreinte, limitée aux  couleurs primaires. C’est ainsi qu’elle a gardé de son maître l'habitude d'un équipement léger, car elle aime créer ses couleurs elles-mêmes ! En bon maître qui se respecte, il lui enseigna d'abord à reproduire, reproduire les grands maîtres, reproduire ses propres toiles. Une école primordiale pour le futur artiste qui y apprend l'humilité, mais aussi le sens des proportions, la nécessité de mettre en page son sujet, le cadrage, la composition. Ensuite, elle a suivi des cours aux Beaux-Arts de Rennes.
Et quand elle décida, il y a environ 10 ans, de se remettre à la peinture, c'est par la reproduction qu'elle recommença : en particulier d’œuvres d'Auguste Macke, cet expressionniste allemand mort en 1914 qui trouvait dans les scènes du quotidien, traités par grands aplats de couleurs vives, un sujet inépuisable d'inspiration.


Mais Patricia a vite décidé de trouver son propre style, et manifestement, elle l'a défini presque sans hésitation. Pas du tout attirée par les bouquets de fleurs, encore moins par la campagne (je n'aime pas "faire du vert" dit-elle en riant), elle s'est vite consacrée à la mer et aux scènes marines peuplées de femmes alanguies ou rêveuses qui définissent aujourd'hui sa "patte". Et qui font son succès lors des accrochages qu'elle réalise depuis 3 ans*.


La mer, "sa mer", c'est celle  de Saint Malo ou de Dinard, où elle habite aujourd'hui, et où elle passait toutes ses vacances enfant. Et elle y peint avant tout une ambiance, celle des années 30. Certes, elle ne l'a pas connue, elle est bien trop jeune pour cela, mais elle l'a imaginée, petite fille, quand elle regardait le port depuis le bow-window de chez sa grand-mère. Et elle peuple ses scènes de femmes nonchalantes ou vives, toujours un peu contemplatives et mystérieuses. 


Car pour Patricia Olive, les années 30 sont mythiques : c'était l'époque d'un certain art de vivre, d'une douceur et d'un optimisme que nous avons perdus. Les femmes étaient plus élégantes qu'aujourd'hui, déjà libérées mais pas encore standardisées ! La société de consommation et ses travers uniformisateurs n'ont pas encore frappé dans les toiles de Patricia. Et autant que de la mer, qui est le prétexte fondateur de toutes ses scènes, elle parle de la vie délicate et raffinée des "belles du bord de mer". 


En fond, la rade de Saint Malo ou la baie de Dinard, qu'elle aime à peupler de discrets clins d’œil, permettent aux amateurs d'identifier le lieu. L'île de Cézembre et sa silhouette escarpée découpée sur l'infini de la mer, le Fort National ou le Fort de Petit Bé, récemment restauré par un passionné se dressent souvent sur ses horizons, comme des points de repère, comme des hommages à cette région qu'elle aime tant.


Puis au premier plan, un premier plan souvent très rapproché, mis en scène dans une composition très serrée, elle peint une scène féminine, douce, et aux teintes claires et lumineuses dans lesquelles le blanc domine. Étincelant et racé. Ses "héroïnes", cadrées à mi-corps, et souvent immobiles, sont pensives, lointaines ou souriant d'un air énigmatique. La touche, large et traitée en vastes aplats de teintes dégradées, est généreuse, souple, précise et rigoureuse. Elle habille ses femmes de toilettes à l'élégance discrète mais indiscutable. Et souvent les pare d'un chapeau qui "dit" l'époque : de la petite cloche des années 30 à la grande capeline des années 40 en passant par les charmants "saturno" (revus et corrigés !)** de ses baigneuses vues de dos, toute la gamme de l'art chapelier s'épanouit sous son pinceau ! 


Les lèvres sont rouges, l’œil parfois songeur... l'une étouffe un petit rire derrière sa main tandis que l'autre remonte d'un geste assuré ses grandes lunettes de soleil ... Inouï ce que ce geste machinal est saisi avec naturel et simplicité, donnant au portrait une touche familière et presque sensuelle. Tous les tableaux de Patricia racontent une histoire... peut-être la sienne. Parfois c'est un souvenir ou une impression qu'elle a voulu rendre, mais cela peut aussi être votre propre histoire que vous retrouverez entre ses "lignes". Car ses tableaux laissent une large place à l'imaginaire et au rêve : à ceux du spectateurs, comme à ceux de l'artiste.


Et quand on lui dit que ses toiles ont quelque chose de Tobeen, elle approuve avec réserve, car elle trouve à ce dernier quelque chose d'inquiétant qui n'habite pas son imaginaire pictural, tout de distinction et d'harmonie.
A la suggestion qu'il y a un peu d'Edward Hopper (1882-1967) dans son inspiration, elle sourit doucement : bien sûr, elle aime énormément Hopper, mais là encore, son univers est plus serein, moins cru que celui du célèbre américain. Mais cette discrète filiation explique sans doute le succès que Patricia rencontre auprès des amateurs. Qu'ils soient français ou étrangers.


Si vous n’avez pas le temps d’aller au GrandHôtel Barrière avant le 31 octobre, vous pourrez la retrouver du 1er au 11 novembre 2012 au 12ème Salon des Artistes de Dinard et dela Côte d’Emeraude (Palais des Arts et du Festival à Dinard)


* Expositions récentes
Eté 2010 : Yacht Club de Dinard
Décembre 2010 : Parlement de Bretagne à Rennes
Eté 2011 : Yacht de Dinard
Eté 2012 : Grand Hôtel Barrière de Dinard

** le "saturno" appelé aussi "capello romano" est initialement la coiffe des archevêques mais elle se décline fort élégamment au féminin, ornée d'un joli ruban qui en rompt l'austérité !

mardi 23 octobre 2012

20 000 ANS D'ÉCART



C'est aujourd'hui qu'a eu lieu l'installation symbolique de la pièce maîtresse du tablier central du nouveau pont de Bordeaux : amené par barge depuis Venise* l'objet est, vraiment, superbe ! Chargé sur une barge il y a plus de trois semaines, il a quitté l'Adriatique, fait le tour de la « botte » italienne, traversé la Méditerranée, franchi le détroit de Gibraltar et remonté l'Atlantique. Au total, plus de 5 000km ! Puis il est remonté le long de l'estuaire, a fait une halte au Verdon le 6 octobre et est stocké à Bassens depuis le 7. Vendredi dernier, il avait été transporté jusque devant le chantier déjà bien avancé du pont, où il a été exposé à l'admiration de tous durant tout le week-end avant d'être posé aujourd'hui. (voir vidéo en accéléré en fin d'article)



Symbolique car c'est le point d'orgue de cet ouvrage fabuleux qui va désenclaver le quartier de Bacalan, pour le relier à Bassens, le futur pont Bacalan Bastide**. Cette pièce constitue la partie mobile du tablier du pont qui, comme les croquis du cabinet d'ouvrage d'art*** qui l'a réalisé aiment à le montrer, se lèvera une soixantaine de fois par an pour laisser passer voiliers prestigieux et paquebots de luxe. Car, nous pouvons en témoigner, nous qui habitons en face du Verdon où s’amarrent ces navires quand ils n'ont pas le temps de remonter jusqu'à Bordeaux (il faut une journée pour faire l'aller, et autant pour le retour), l'estuaire a fortement développé sa vocation touristique et d'accueil des bateaux de croisière : ici, ces monstres marins ne sont pas déplacés, comme ils le sont à Venise, et ils sont tout de même préférables aux horribles méthaniers qui menaçaient notre zone Natura 2000 et le fragile équilibre du dernier estuaire naturel d'Europe.


Le pont devra être livré à la CUB avant le 31 décembre 2012, et le premier paquebot de la saison 2013**** "ms Astor" est attendu le 1er avril prochain, date à laquelle le pont devra donc fonctionner et pouvoir lever son tablier. Un ouvrage d'art d'une fort belle allure, qui a bien failli priver Bordeaux  de son inscription au Patrimoine mondial de l'Unesco, et qui marque la ville d'une empreinte moderniste du meilleur aloi. Or voilà que ce pont se dresse à proximité immédiate d'un lieu d'exposition aux manifestations variées et parfois passionnantes, Cap Sciences.


Depuis le 13 octobre et jusqu'au 6 janvier prochain, Cap Sciences accueille une présentation en tous points passionnante :  Lascaux, exposition internationale. Certes le titre n'a rien de décoiffant, et s'il a plu aux organisateurs de mettre en avant le fait, prometteur et gage de qualité, que cette exposition sera présentée à Chicago en mars 2013 et à Montréal en 2014, l'argument est finalement de peu de poids eu égard à l'intérêt intrinsèque de son contenu.


Il s'agit tout simplement de la présentation de ce qu'il est convenu d'appeler "Lascaux 3", en attendant que Lascaux 4 soit enfin terminé *****! Vous avez tous entendu parlé de la  grotte de Lascaux, de sa découverte en 1940 par de joyeux chenapans de Montignac, des relevés effectués grâce à l'initiative de l'Abbé Breuil, grande figure de l'archéologie préhistorique de l'immédiat après-guerre, des catalogues savants réalisés par André Leroi-Gourhan pour tenter de déchiffrer le mystère de ces représentations pariétales. Puis de l'affluence massive de visiteurs, peu respectueux du site, et surtout trop nombreux... Alter, qui en fit partie dans sa tendre enfance, se souvient essentiellement d'une cohue indescriptible, rendant la vision des peintures quasi impossible au petit garçon qu'il était, et des algues qui pendouillaient le long des chiches ampoules éclairant le parcours. Vous savez enfin qu'en 1963 André Malraux décida de fermer la grotte aux visites touristiques, et on ne revint jamais sur cette décision.
 
Tant et si bien qu'on réalisa dès le début des années70 un fac-similé de la grotte, qui ouvrit ses portes en 1983. Malheureusement, seule une partie du site fut reproduite, et cette grotte bis, faute d'entretien depuis 1996, subit à son tour les méfaits de la foule ! C'est ainsi que depuis août 2008 le site de Lascaux 2 est fermé entre trois à quatre mois par an,  pour procéder aux travaux de restauration progressive des fresques et des parois encrassées par la poussière liée au passage des visiteurs (270 000 par an). Autant dire que tout cela est fragile et difficile à voir.


Or voici que, grâce aux procédés de relevé au laser en trois dimensions des parois, au millimètre près, et à la technique du voile de pierre******, on a réalisé une maquette légère et extrêmement précise de la nef centrale de la grotte de Lascaux, maquette qui grâce à sa parfaite mobilité peut être facilement transportée et montrée au monde entier. C'est cette réalisation que présente Cap Sciences, avant sa traversée de l'Atlantique. Sont ainsi reproduits, grandeur nature et avec une exactitude impressionnante, le panneau dit « de l’Empreinte » et la frise des bouquetins, le panneau de la Vache Noire, le panneau des Bisons adossés et la Frise des Cerfs nageant situés dans la Nef, ainsi que la Scène du Puits.

 
Un éclairage intelligent, qui reproduit la luminosité des lampes à graisse trouvées sur le site, de jeunes guides attentifs et passionnés, des films explicatifs, des reproductions fidèles des objets trouvés sur place, et une maquette à 1/10ème de la totalité de la grotte permettent une (re)découverte impressionnante de ce site que plus personne ne peut aller troubler... Pas même les chercheurs, sauf de façon extrêmement réglementée et limitée : c'est ainsi que le photographe qui a réalisé la plus complète série de photos des peintures pariétales, n'a eu un droit d'accès à la grotte qu'une heure par semaine. Ce qui lui a valu de passer environ 10 ans de sa vie sur le site !! Il est ainsi devenu sans doute le meilleur connaisseur de ces réalisations artistiques dont la nervosité, la fraicheur, le sens du mouvement, voire d'une sorte de perspective rendue par des artifices picturaux très efficaces, nous fascinent encore et toujours ! 


Un rapprochement hallucinant que la reconstitution fidèle et très émouvante de cette grotte vieille de 18 000 ans et, à travers les grandes baies vitrées du musée, le pont futuriste qui enjambe la Gironde, lançant vers le ciel plombé d'automne ses hautes piles de pierre.


NOTES
* Chantiers de la Cimolaï à San Giorgio de Nogaro, près de Venise
** Sur les ponts de Bordeaux : voir sur le site de bordeaux.com
*** Le cabinet choisi est le caniet Cheron Lavigne, selon un projet qui ressemble beaucoup au pont Gustave Flaubert de Rouen, réalisé par Aymeric Zublema (hôpital Georges Pompidou, Stade de France ...). Le projet de ce dernier, proprement futuriste et d'un look à couper le souffle, n'a malheureusement pas été retenu par la CUB.
**** Le calendrier 2013 complet est disponible ici.
***** Un centre national d'art pariétal présentant, entre autres, un fac-similé intégral de toutes les parties ornées de la grotte de Lascaux (salle des taureaux, diverticule axial, passage, puits, abside et nef) doit voir le jour à proximité du site original. Un concours d'architectes a été lancé pour ce projet aussi appelé Lascaux 4. Parmi 163 offres parvenues, le comité de pilotage retiendra l'équipe définitive fin 2012. Les travaux, sous maîtrise d'ouvrage du conseil général de la Dordogne, devraient s'étaler de fin 2013 à 2015, l'ouverture au public étant prévue pour l'été 2015
****** C'est un sandwich de fibre de verre, de résines, de colles spéciales et d'un mélange minéral tenu secret. Il est très fin, très léger, très solide et surtout très fidèle à la paroi de la grotte. 


dimanche 21 octobre 2012

DES CÈPES !!!

Première étape : les cèpes, soigneusement nettoyés par Alter (il "gaspille" moins que moi, un vrai chef de l'épluchage économique) sont découpés en fines lamelles, et mis à revenir dans l'huile d'olive à feu très vif : on reste sagement à côté de la poêle, et on remue sans cesse, en faisant attention de ne pas écrabouiller les morceaux, afin que l'eau rendue s'évapore. A côté de la poêle, les jolis petits "babies" ont été mis de côté pour le carpaccio !

Que celui qui n'a jamais péché me jette la première pierre... J'étais en train de fureter dans mes "statistiques" ... toujours cette fascination de voir le compteur augmenter (mais il y a VRAIMENT des gens qui me lisent ???), de croiser des visites en provenance de Lebanon, d'Australie ou de Corée, et puis aussi l'amusement de regarder les arguments tapés sur Google par ceux qui ont "abouti" sur votre blog ! Ayant constaté avec une certaine satisfaction que la "Mertensia Maritima" a fini par doubler "Vos premières fois (suite)", avec une fréquentation très régulière, surtout durant l'été, et m'être dit que cet hiver "la mique sarladaise" va se refaire une santé, je consulte les items de recherche de la semaine qui vient de s'écouler. Et là, surprise, ce n'est plus la feuille d'huître qui tient le haut du pavé, mais la demande "carpaccio de cèpes".
Miammm, c'est trop bon ça... mais j'ai mis une recette de carpaccio de cèpes moi ?? Et voilà que cela me donne une furieuse envie d'en tâter à mon tour. Question de saison, je vous le disais bien. Or, en partant vers le Bassin d'Arcachon, nous remarquons le long des bois charentais, puis dans les chemins creux landais, l'indice incontestable tant attendu : des dizaines de voitures, des silhouettes furtives, chaussées de bottes et armées de paniers profonds... Ils ne vont pas à des rendez-vous galants, ces gens-là !! Plus aucun doute n'est permis, les cèpes sont enfin arrivés dans la région. Il y en avait déjà quand nous avons fait notre virée en Languedoc Roussillon, puisque nous avons pu en déguster une platée mémorable dans une petite auberge du côté de Castres. Puis on a entendu parler de pousses généreuses en Dordogne... mais ici, toujours rien. Et voilà que cette semaine, nous en avons à notre tour. Normal avec cette pluie et la douceur d'arrière-saison, d'ailleurs on les attendait avec impatience.
Alors, à défaut de parcourir les bois, au risque de se perdre et surtout de prendre une bonne douche, nous avons profité des vendeurs sur le bord de la route pour rapporter de quoi préparer un beau carpaccio, d'autant que les champignons sont encore tout jeunes et leur fermeté s'accommodera fort bien de ce mode de présentation très savoureux. J'ai trouvé la recette sur Bon Sens et Déraison !!! Si, si !

 Plus tard : l'eau s'est totalement évaporée, les cèpes sont dorés à point, dans une poêle à part, les pommes de terre mijotent doucement, un peu à l'étouffée après avoir été saisies en bonne et due forme ! La dégustation approche !

Et comme dame nature est plutôt généreuse, et que les cèpes ne sont jamais aussi bons qu'au début, nous avons acheté de quoi nous offrir plusieurs festins : la poêlée traditionnelle qu'on nomme chez Alter "à la sarladaise", mais revue et corrigée par mes soins : en évitant surtout de faire "bouillir" les cèpes, donc en les faisant cuire longtemps à feu vif, en remuant sans cesse, de façon à faire évaporer toute l'eau qu'ils rendent. En les faisant revenir plutôt à l'huile d'olive qu'à la graisse d'oie de façon à ce qu'ils soient plus dorés, plus fermes, moins écrasés et confits. L'huile d'olive d'ailleurs, respecte mieux le goût du champignon. Et pour finir, en servant les pommes de terre d'accompagnement à part, et non en galette mélangée avec les champignons, la patate n'étant là que pour "rincer" les papilles entre deux bouchées de cèpes, dont on redécouvre chaque fois la saveur, en offrant une nouvelle virginité au palais . Autant dire que cela n'a plus rien à voir avec la recette familiale, (je vous épargne la référence à Pampille !!) où, trop recuit, le cèpe finit par perdre son bouquet au profit d'un mélange un peu trop gras et lourd. Il faut parfois revisiter les classiques, n'est-ce pas ?

A table !! Cèpes et patates font chambre à part, mais se mettent en valeur l'un l'autre ! Ils accompagnent délicatement et avec beaucoup d'esprit un filet mignon de veau, doublé d'une jolie tranche de poitrine bien grillée, qui a le double mérite d'abaisser le prix de revient de votre préparation (le filet mignon est tout petit) et d'apporter un peu de moelleux à la dégustation de la viande ! Tout en fournissant un jus de cuisson riche en sucs et savoureux.

Et pour finir, il reste quelques champignons qui, demain, feront un régal avec quelques œufs brouillés et là, par contre, côté saveur, pas de doute, ce qui exhale le mieux le goût du bolet comestible, c'est bien l’œuf et la patate !! Vive l'automne !


Et le carpaccio de cèpes, prétexte de cet article, me direz-vous ?? Le voici, selon la recette de Michelaise !! Toujours préparé avec l'huile de Fontvieille... mais sans soleil !

vendredi 19 octobre 2012

MUSEE GOYA A CASTRES


Marcel Briguiboul (1837-1892), autoportrait au haut de forme et à la pipe (1861)



Marcel Briguiboul était le fils unique d'un négociant aisé de Castres, installé à Barcelone (il avait 20 frères et soeurs, autant dire que tous se sont égayés un peu partout pour maintenir le patrimoine familial !!). Né en 1839, il apprit la peinture à Barcelone, puis à Madrid où il devint l'ami de Mariano Fortuny. En 1858, il entre à l'École des Beaux-Arts de Paris où il rencontre Jean-Paul Laurens, Auguste Renoir et même Claude Monet. Dès 1861, il expose au Salon : sa peinture est influencée par l'Espagne, l'orientalisme, par l'impressionnisme d'Auguste Renoir  et  parfois par le symbolisme. Doté d’une fortune personnelle, Marcel Briguiboul peut se consacrer à l'étude et à la pratique de l'art, à des voyages et séjours en Algérie, Espagne, Italie, Paris et Castres où il reviendra s’installer auprès de sa mère. C'est d'ailleurs lors d'un voyage à Madrid qu'il découvre chez un marchand les toiles de Goya qui l'enthousiasme à un point tel qu'il négocie un emprunt pour les acheter ! Il n'hésite pas à s'engager en 1870 dans la guerre Franco-prussienne, durant laquelle il exécute une mission périlleuse qui lui vaudra la Légion d'Honneur. Mort subitement en 1892, à peine âgé de 55 ans, il avait cependant pris des dispositions testamentaires par lesquelles il léguait à la ville de Castres toute son œuvre et une grande partie de ses collections.
C'est ainsi que des oeuvres majeures de Goya, son autoportrait à lunettes, le portrait de Francisco del Mazo, une série des Caprices et l'étonnante assemblée des Philipinnes, entrèrent dans le musée et déterminèrent sa vocation à venir. Plus tard, une série de dépôts prestigieux de Louvre, sont venus confirmer cette spécialisation : le portrait de Philippe IV par Vélasquez, la Vierge au chapelet de Murillo constituant sans doute les pièces maîtresses de ces dépôts. 

Marcel Briguiboul (1837-1892), portrait de Pierre Briguiboul, fils de l'artiste

D'autres legs, du fils de Briguiboul (mort un an après son père), puis de sa veuve (la pianiste Valentine Arban, fille d'un célèbre chef d’orchestre et professeur au conservatoire de Paris), et d'autres généreux donateurs, une politique d'achats bien menée, grâce au mécénat de nombreuses entreprises locales dont le laboratoire Pierre Fabre, une volonté acharnée de la part des conservateurs successifs d'accueillir toutes les œuvres hispanisantes mal mises en valeur dans leurs musées d'origine (dépôts du musée d'Orsay, du musée des Antiquités nationales de St Germain en Laye, du musée Picasso, du musée des Augustins de Toulouse, de celui de Lyon et j'en passe), la récente récupération d'une collection inouïe de sujets sculptés  XVIIème du musée de Chantilly, en font un endroit d'une richesse inattendue dans une si petite ville. Un exemple parmi d'autres, un vrai conte de fées, nous attend à l'entrée.



En 1992, on "redécouvre" au musée des arts décoratifs de Paris, des bas reliefs sculptés qui gisaient depuis des années murés derrière une chaudière et mis au jour à la suite de travaux de changement du système de chauffage. On croit rêver : dix superbes frises datant de la Renaissance espagnole, léguées au musée près d'un siècle auparavant avaient été oubliées, et avaient carrément disparu de la circulation. C'est vraiment d'une découverte qu'il s'agit alors. On les nettoie, on les restaure, on les analyse, on les expose, on les prête même à New York, bref c'est une "invention" majeure d’œuvre d'art qu'il s'agit là. Et en 2007, le conservateur du musée Goya à Castres obtient, insigne honneur accordé à sa ténacité, qu'une partie d'entre elles, celles consacrées au Triomphe de César, lui soient confiées en "dépôt".


C'est pour cette raison qu'on peut aujourd’hui admirer, en pénétrant dans ce musée qui réserve des tas d'autres surprises, la suite éblouissante de qualité et de nervosité des frises de Vélez Blanco, provenant d'Andalousie.

Inspirées de Mantegna, elles sont en fait l'assez fidèle reproduction de l'interprétation que le graveur Jacopo de Strasbourg en fit, dans une suite gravée à Venise en 1503. Constitué de deux longues planches jointives de pin sylvestre, chaque relief mesure de 5 à 6 mètres de long pour une hauteur totale de 80 centimètres environ. Leur épaisseur maximum est de 10 centimètres. Lors de leur fabrication, les planches ont été juxtaposées chant contre chant, à plat, puis sculptées. L’ensemble est taillé dans la masse sans aucune pièce rapportée.

Je me permets simplement de citer la conclusion de l'article que leur consacrent les restaurateurs, citation émouvante tant elle décrit bien le véritable "attachement" qui se produit quand on s'attaque à une pareille remise en état. "Au cours de cette restauration, notre émerveillement devant la qualité technique et la virtuosité de ces sculptures ne s’est jamais démenti. A chaque fois, malgré de multiples et pesantes manipulations, au long des travaux de dépoussiérage, de nettoyage, de consolidation, de collage, de bouchage, de retouche et d’installation, nous avons apprécié la fraîcheur, le goût du détail et l’humour des scènes. Pourtant, c’est lorsque nous avons pu, en dernière étape, les présenter verticalement que nous avons pu enfin goûter, presque en un clin d’œil, à la reconstruction de leur harmonie initiale. C’est donc la moindre des choses, même cinq siècles après, que soient remerciés ici les sculpteurs encore anonymes de Vélez Blanco et ceux qui, plus près de nous, ont permis cette rencontre." On sent, dans ces propos, toute la qualité de ces oeuvres et aussi le respect, voire l'admiration entre "spécialistes" !


On admire ici une collection particulièrement riche de Goya, je l'ai dit, mais aussi de nombreux peintres espagnols, dont un portrait par Sorolla plein d'acuité, un Picasso, des Zurbaran, un Ribera, un Vélasquez et quantité d'autres noms ibériques moins connus, mais tout aussi talentueux. Le musée couvre toutes les époques, du XVème au XXème, avec, pour chaque période, des salles bien aménagées, et, véritablement, passionnantes. Même pour des amateurs inconditionnels de l'art italien !! On y fait de nombreuses découvertes.


Par exemple, Santiago Rusiñol y Prats (Barcelone 1861 - Aranjuez 1931) : un peintre, certes, mais aussi un romancier, un chroniqueur et auteur dramatique, consacré comme un des principaux acteurs du modernisme catalan dans les années 1890-1900. En 1887, après un voyage à Paris, il s'installe à Montmartre et ne rentrera à Barcelone qu'en 1894, pour y fonder le groupe des Quatre Gats, rendez-vous de l'avant garde espagnole. C'est lors d'un voyage à Grenade, en 1892, qu'il commence à aimer représenter les "jardins" qui deviendront son thème de prédilection et feront sa célébrité. Ombre, soleil intense, murets de pierres sèches, fontaines, clapotis de l'eau claire, on a presque l'impression de sentir l'odeur des oranges mûres ! Cette atmosphère poétique et presque intimiste donne à ses toiles un charme inégalé.


A SUIVRE
Goya en son musée de Castres
Castres : Francisco Pacheco le maitre de Velasquez
Castres : la conquête d'un rêve éveillé : Hybrides et Chimères


mercredi 17 octobre 2012

IN VINO VERITAS ???


En ces temps de vendanges*, j'ai envie de vous parler de ce livre, récemment offert à Alter : Les ignorants. D'après la quatrième de couverture voici de quoi il s'agit : «Étienne Davodeau est auteur de bande dessinée, il ne sait pas grand-chose du monde du vin. Richard Leroy est vigneron, il n’a quasiment jamais lu de bande dessinée ». Et en sous-titre "Récit d'une initiation croisée", cela m'avait attirée et cela s'est révélé justifié. Tant et si bien que j'ai offert cette BD à tout le monde (j'en suis à mon 6ème exemplaire !!) et qu'Alter m'a conseillé d'arrêter de l'acheter, au risque de me répéter dans mes cadeaux !

Alors ? Et bien c'est la rencontre de deux passionnés, l’un de BD et l’autre de sa vigne. Ils ignorent tout du métier de l’autre mais acceptent de jouer le jeu, et, curieux, de vivre et découvrir la passion de l'autre. Pendant un an, Étienne Davodeau suit Richard Leroy dans les vignes et apprend le métier de vigneron. En contrepartie, Richard apprendra la BD… C'est bien fait, fort documenté, attachant et varié. Les dessins sont clairs et simples et pourtant terriblement détaillés, et en plus, on est bien dans ce bouquin !! On y parle du ciel, des saisons, de la vie, de la terre, parfois on s'échappe dans la fureur des villes et l'on revient au terroir, goûter le vin et la vie au quotidien, sans emphase. On y parle d'initiation, de découverte et d'amitié.


Enthousiasmée par les méthodes de Richard Leroy, nous nous sommes dit illico, il faut trouver son vin, mais croyez-m'en, cela relève de l'exploit que d'arriver à dégoter une bouteille produite par cet homme-là ! Les forums chantent ses louanges, les critiques sont tellement élogieuses et la production si petite qu'il faut être introduit, intronisé, tuyauté et parrainé pour avoir une chance d'en déguster un peu ! Mais rien ne dit que nous partirons pas un jour à la recherche de ce breuvage intelligent qui, même s'il est admirablement noté au Parker est, en quelque sorte à l'opposé des méthodes de ce dernier.



Alter, dans l’œnologie jusqu'aux oreilles, m'a donc rendu la pareille en m'offrant une autre BD "les sept péchés capiteux", procès en bonne et due forme de Parker et de son système de dégustation et de notation, accusé de collusion avec les experts, Michel Rolland essentiellement. Pour les non initiés, j'essaie de faire simple :
Parker a mis au point un système d’évaluation des vins qui se base sur l'indépendance du dégustateur vis-à-vis des producteurs de vin, des négociants ou de la presse. La dégustation doit se faire à l'aveugle, la notation de tous les vins se fait sur 100, quelle que soit leur réputation, note accompagnée de commentaires dont cet étranger au monde du vin a renouvelé la syntaxe et la poésie ! Son système a eu un tel succès qu'il est devenu LA référence en matière de vin et exerce une influence déterminante sur la commercialisation des vins, faisant la pluie et le beau temps sur les prix (les crus qu'il distingue voient leur prix s'envoler) mais aussi, et c'est ce qu'on lui reproche, sur le goût des consommateurs.





Partant, les adversaires de Parker dénoncent un affadissement du goût, une standardisation des méthodes qui menacent la diversité de nos vins.  Une uniformisation dont le prototype serait le "Clos Los Siete", créé par le complice redouté et redoutable de Parker, Michel Rolland. Je vais vous avouer un truc, même si cela doit en faire rugir certains, je le trouve bon moi, ce Clos Los Siete, parfumé, musclé, séduisant en diable. Et voilà le défaut majeur qu'on reproche au système Parker : la séduction ! L'américain a décrété des normes, posé des incontournables, des repères qui font la pluie et le beau temps sur le marché et en agacent plus d'un. 



Parker avance pour sa défense que son système a assuré le succès mondial de l'école de vinification bordelaise, a donné le goût du vin à de nombreux peuples qui n'en buvaient pas et permis à ce précieux breuvage de connaitre un succès inimaginable sans lui.

On lui rétorque qu'il a simplifié les nuances, américanisé nos pratiques et qu'en prime, ses diktats influencent les techniques de vinification développées dans tous les nouveaux pays qui se lancent dans l'aventure de la vigne (Californie, Chili, Argentine, Australie etc...).

Le vin "Parker", nouveau signe de richesse, submerge les tables à la mode des États Unis, de Hong Hong et demain, de la Chine et de l'Inde. La BD de Simmat et Bercovici lui fait sa fête, et l'oenologue Michel Rolland en prend aussi pour son grade. Comme, il y a quelques années le film Mondovino dénonçait les dérives que ces deux-là ont créées dans le monde du vin, "Les sept péchés capiteux" n'épargne guère leurs travers, leurs dévoiements et leurs faiblesses.



Ceci étant, il faut bien avouer qu'en achetant un "98 au Parker", on a tendance à "assurer" et à avoir la certitude qu'on aura un vin tout à fait buvable, voire mieux. Oui, je sais, il sera un peu complaisant, facile, fait pour être bu trop vite, pas vraiment de longue garde, mais quoi de plus désagréable que d'ouvrir une infâme piquette alors qu'on espérait un grand cru ? La notation Parker est commode, et ce ne sont que ses excès qui en troublent l'intérêt.

Je vous rassure,  Alter a comme livre de chevet (et de cave) "LE guide des vins de Bordeaux" de Jacques Dupont, ennemi juré de Rolland. Surnommé "l'avocat du vin", ce dégustateur réputé, chroniqueur à l'hebdomadaire Le Point, avait déjà raconté sa relation au vin dans Choses bues (Grasset, 2008). Il défend les vins élégants et harmonieux et surtout raconte les hommes qui sont derrière le vin, et leur passion.

L’histoire des familles, la rencontre avec les maîtres de chais et beaucoup d'anecdotes, parfois franchement drôles, accompagnent des jugements (sur 20, et non sur 100 !!) égrenés par cet autre amateur, qui impulse une nouvelle vision du vignoble. Le tout très clair, très pédagogique, mais aussi fort sensuel, écrit d'une plume allègre et dans un style fluide ! Qui vous donne envie de déguster !! Et de vous ruiner dans les "foires aux vins"...


Pour ce faire, il me semble que les 4 "principes généraux" de Pampille (encore elle !! mais que voulez-vous, elle est impayable Pampille !)  seront de bon aloi :

1) les vins français sont les seuls qui se laissent boire sans fatigue. Tous les autres, et le vin du Rhin lui-même (ouh là là, suivez mon regard, Marthe Allard était chroniqueuse à l'Action française !!) doivent être considérés comme de passagères fantaisies de chemin de fer ou de paquebot, auxquelles il n'y a pas lieu de s'attarder (fi !!).

2) la multiplication des vins rares, à un repas d'amis, est une faute. Offrez un très bon vin ordinaire, rouge ou blanc, puis un ou deux vins classés, pas davantage,et, à la rigueur, une coupe de Champagne pour finir ; encore que le Champagne non brut, c'est-à-dire commercial, soit le moins personnel de tous nos vins. Mais il représente, par l'usage, une tradition de politesse gastronomique (c'est pas bien dit, ça ??)

3) le vin, à un table française, ne doit pas être mesuré par dés et verres minuscules, comme il est d'usage de le faire en Angleterre ou en Allemagne (tous des sauvages, ces gens-là ! on s'en doutait ...). Il doit toujours être à la disposition des convives, auprès d’eux, à leur portée, et servi largement (hips !! et l'alcool-test ?? ah voui... c'est pas pour demain, ouf, repoussé aux calendes grecques pour cause de rupture de stock, hips !!)

4) Toutes les eaux minérales gâtent le vin (c'est bien vrai, ça, ma brave dame !!), même ordinaire...

Petit complément "Pampillien", à propos du "Mauvais dîner", dont je vous ai déjà entretenus :

"Les vins ont des noms célèbres, mais on les passe rarement ; et en grand mystère, le maître d'hôtel vous confie leur âge, sans doute pour nous rassurer. L'eau a davantage les honneurs de la table (a-t-on idée ??) ; il y en a de tous les crus, eau d'Evian, Châteline,  Vichy, etc ... et la maîtresse de maison paraît très fière de son invention ; mais la seule eau vraiment bonne, l'eau à microbes (est-ce à dire l'eau du robinet ou celle du puits ?), justement, ne figure pas sur la table."



Pas de doute, les vendanges, ça l'inspire Michelaise... Les vendanges et .... Donizetti !! Car il fallait bien un billet pour célébrer comme il se doit "l'Elexir d'Amour", pour lequel ce brave Donizetti fait une publicité gratuite et permanent, sur les scènes du monde entier :



Si vous voulez entendre la "pub" c'est à la minute 40:50 précisément :
- E il sapore ??
- Eccellente
- Eccellente ??
- Eccellennnnnnte ! (è Bordeaux ! non elisir...)


Elexir entendu l'autre soir dans le cadre de la première soirée retransmise en direct du Met de New York : une mise en scène simple mais jubilatoire, des voix superbes, une direction enlevée et sans faiblesse. La jolie Anna Netrebko s'amusait comme une folle et le séduisant ténor Matthiew Polenzani s'est taillé un vrai triomphe avec sa larme furtive !!

Dommage que l'extrait n'en donne que la moitié, mais quel phrasé !! Et des yeux à craquer, n'est-ce pas ??

Retransmissions du Metropolitan qui ont gagné cette année en qualité de son et d'image : l'opéra dans un fauteuil confortable, avec une visibilité parfaite, des distributions à faire pâlir les mélomanes, des mises en scène parfois un peu ringardes mais toujours très "propres", et le tout, pour un tarif d'une douceur inhabituelle !! N'hésitez plus, il y en a forcément pas loin de chez vous...


* enfin chez nous, elles sont encore en cours ! ailleurs, plus au sud, elles sont terminées depuis longtemps ... vendanges, qui depuis quelques années donnent ici aussi du vin et plus seulement comme autrefois, de la matière première pour le Cognac !
Pour votre information : un article surprenant sur les dates des vendanges et le climat, le tout observé par satellite !

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