dimanche 16 février 2014

MUSÉE DE ROUEN : LE XVIème SIÈCLE


Côté Nord, on commence par admirer une superbe Vierge entre les vierges, de Gérard David, et le jeu consiste à identifier les sus-dites vierges à leur attribut. Elles sont au nombre de 10, pas moins !!


Alors la plus facile c'est Agnès, avec son agneau. Juste à côté d'elle, Sainte Catherine, avec sa roue, non pas brandie ou franchement exposée, mais en délicat décor sur sa couronne d'or ! Celle qui est juste derrière elle, avec un petit panier de roses à la main, j'avoue que je ne la connaissais pas, c'est Dorothée. Au-dessus de Dorothée, c'est bien sûr le portrait du donateur, c'est à dire Gérard David lui-même qui a offert le retable au couvent des carmélites de Sion de Bruges en 1509. Par contre, la sainte qui est à moitié cachée par Agnès, reste anonyme, nous n'avons pas pu déterminer son attribut, donc encore moins son nom.


La donatrice est de l'autre côté, c'est soit la femme de Gérard, Cornelia Cnoop, fille du doyen de la Guilde des Orfèvres qu'il avait épousée en 1496, soit la veuve Lambyn qui aurait offert le panneau de chêne qui est utilisé comme support de la peinture. Devant elle, vêtue d'un somptueux manteau rouge et tenant ses yeux à la main, c'est bien sûr Lucie. Devant Lucie, en vert, arborant elle aussi son symbole sur sa couronne, voici Barbe ou Barbara avec sa tour. 


Les choses se compliquent un peu avec sa voisine, en train de lire. On apprend qu'il sagit de Godelive, la patronne de Bruges, reconnaissable à son écharpe. En arrière, c'était pourtant facile mais nous avions attribué à tort son instrument à l'ange. Il s'agit tout simplement de Cécile qui pose devant son orgue. 


De part et d'autre de la Vierge, tenant l'une sa tenaille et l'autre ses pinces, on aperçoit Agathe à qui l'on arracha les seins et Appolline qui perdit ainsi les dents ! À mon avis, en examinant la taille des instruments de torture, Agathe est à droite et Apolline à gauche, l'outil qu'elle tient étant plus petit. Les anges qui les flanquent, vêtu d'une impeccable aube blanche et d'une jolie paire d'ailes assorties, joue pour l'un du luth (à gauche) et l'autre du rebec, une sorte de violon à trois cordes.  L'enfant Jésus, l'air pensif, joue avec les grains du raisin, symbole eucharistique du sacrifice futur, que tient doucement sa mère. 


Celle-ci, d'une beauté idéale, baisse les yeux avec un brin de tristesse, alors que sa superbe chevelure blonde cascade en ondulant sur ses épaules, presque sensuellement. C'est ce qu'on appelle une Vierge de Sagesse, la mère servant de trône à l'enfant.  Vêtue d'une sobre robe bleue, à connotation céleste, elle est assise sur étoffe rouge, symbole terrestre. Unissant le Ciel et la Terre, elle personnalise le mystère de l'Incarnation. Sa couronne, ornée des 12 étoiles dont parle Jean dans son Apocalypse, évoque la doctrine de l'Immaculée Conception, très prisée par les carmes au XVIème siècle (et, rappelons le, pas encore promue au rang de dogme).


Toujours nordique, le fort classique Saint Jérôme dans son Cabinet est attribué à Quentin Metsys, et d'une qualité tout à fait digne du maître.


L'admirable portrait de vieillard à la barbe mousseuse, à l'air habité sans être, pour une fois, trop décharné...


... est, comme souvent, prétexte à de jolies natures mortes qui, à droite et à gauche, animent cette scène religieuse par définition austère.


Pendant ce temps, en France, François Clouet peignait ce Bain de Diane, aux couleurs nettement plus profanes et à connotation fortement politique. Le thème de l'oeuvre, tiré du Livre III des Métamorphoses d'Ovide, conte l'histoire de Diane, déesse des forêts et des sources, mais aussi de la chasteté, qui est surprise au sortir du bain par Actéon, en pleine partie de chasse. Pour le punir de son audace, elle l'asperge d'eau et le métamorphose en cerf. Le malheureux est alors dévoré par ses chiens, et les peintres de tous temps s'en sont donné à cœur joie pour décrire le supplice de l'indiscret. Ce n'est pas le cas de Clouet qui relègue sobrement la scène sur la partie droite du tableau, dans l'ombre, tandis que l'arrivée d'Actéon en tant que chasseur est simplement suggérée par la présence d'un chevalier vêtu d'un pourpoint rayé sur la gauche.


La description de la scène centrale, sur laquelle Clouet concentre tout son art, est simple. Six personnages s'ébattent dans un paysage bucolique, sentiers en pente douce dans des vallons verdoyants.  A droite, Diane, de profil, se dresse sur un rocher et est en train de se dépouiller de ses derniers voiles, alors qu'à ses pieds gît le flammeum, habit luxueux aux teintes chatoyantes. Plus au centre, la même Diane, les pieds dans une source d'eau fraîche, se baigne, tandis qu'une nymphe dépose sur ses épaules le drap de pourpre auparavant délaissé. A sa gauche, une autre servante est assise sur un rocher, écoutant l'air lointain une musique jouée par deux satyres. Alors que la déesse est une citation directe par le peintre de la statuaire antique, les satyres, figures mi-humaines, mi-animales sont une évocation franchement renaissante.


Mais ce qui est intéressant est que cette toile doit, en fait, être interprétée comme un portrait à charge de Marie Stuart, reine d'Écosse, et éphémère reine de France de 1559 à 1560. Les deux servantes seraient, dans ce contexte politique troublé, Catherine de Médicis pleurant son mari Henri II, roi de France mort en 1559, et Diane de Poitiers, maîtresse de celui-ci. La première est, bien entendu, la nymphe assise sur un ligne noir posé sur le rocher, et son air de ravissement révèle en fait une profonde tristesse. Les satyres sont, dans cette optique, les intrigants et ultra-catholiques frères de Guise, le dur et le cardinal Charles de Lorraine, oncles maternels de Marie Stuart qui, en la mariant à François II en 1558, ont ainsi permis qu'elle accède au trône de France. Les voiles rouges seraient donc le symbole de la royauté de Diane/Marie Stuart, l'iris/lys de France marquant son rang royal de même que le chardon, emblème des Stuart, et le lierre, emblème du cardinal de Lorraine, confirment cette interprétation. La curée du cerf, au fond, annonce le sort qui attend François II, qui ne régna qu'un an. Mais on a aussi voulu y voir Henri II, victime de sa propre Diane et des Guises. Il est possible que l'oeuvre ait été peinte en 1565 pour Claude Gouffier, grand écuyer du roi, courtisan accompli, mécène et amateur d'art.


Quoiqu'il en soit, protestation protestante ou déclaration politique, cette peinture est une parfaite synthèse de l'art de l'école de Fontainebleau : un paysage idéalisé dans un camaïeu de verts, des corps sculpturaux aux clairs aux délicates teintes de porcelaine, un peu froid, en un mot, l'élégance à la française ayant interprété à sa façon l'art italien de la Renaissance. 

A SUIVRE
Musée de Rouen : XVIIIe et XIXè siècles
Musée de Rouen : l'Impressionnisme


7 commentaires:

  1. que de richesses dans ces tableaux! sur le 1er en particulier, un vrai jeu de pistes!
    bonne journée!

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    1. Oui Eimelle, je t'avoue qu'on s'est bien amusés à le déchiffrer, mais on n'avait pas toutes les réponses

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  2. Outre les experts d'histoire de l'art je m'interroge sur le nombre de personnes qui sauront encore "décoder" les tableaux dans quelques années (je n'ose dire décennies) !
    bravo Michelaise pour les "Vierges" je n'aurais pas su en trouver autant et pour Marie Stuart je découvre totalement.
    J'aime ces découvertes passionnantes
    Bonne journée

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    1. Faut pas être alarmiste Josette : avec internet, on n'a plus le droit à l'ignorance ! c'est fou ce qu'on a comme informations à notre disposition et je t'assure qu'on trouve nombre de choses passionnantes. C'est la curiosité et la rigueur dans le tri des infos qu'il faut entretenir !!

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  3. C'est vrai Josette, le décodage reste un art à part entière, petit à petit il ne se fera plus part les visites régulières dans les églises, mais par le biais des histoires de l'art et des musées...

    Ces peintures "idéalistes" me rappellent des illustrations de livres pour la jeunesse qui m'ont beaucoup frappée en leur temps :-))) on y voyait de belles dames bien vêtues, richement parées, des corps suggérés, parfaits, j'en restais pantoise et fascinée...

    Depuis j'ai appris à vivre dans la vie toute cabossée, bien loin de ces images d’Épinal...

    C'est facile aujourd'hui de regarder ce belles peintures avec le recul et la fantaisie qu'il faut... Avec plaisir...

    Bises à toi Michelaises.

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    1. C'est un contexte culturel en effet qui n'a plus cours, mais qui intéresse encore !! Quant aux images d'Epinal en question, elles étaient offertes à l'admiration du bon peuple (quand elles étaient dans les églises) qui, alors, était encore plus cabossé, plus pauvre et plus sevré d'images que nous !! Elles étaient sans doute leurs seules couleurs, leurs seules parts de rêve !!

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  4. Ton article est une bénédiction pour l'ignare en art que je suis ! '(je me sens comme un intrus dans un club de d'Historiens de l'Art..) Merci pour ce travail altruiste !
    Saint Jérôme, trop décharné ? Y a-t-il un niveau de maigreur à respecter pour ce pauvre homme ? aurais-tu même quelques documents concernant sa quotidienne diététique ...

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