dimanche 13 avril 2014

ZURBARAN : SA VIE


"Dans la ville de Fuente de Cantos, le 7 novembre 1598, le Sr Diego Martinz Montes, curé de ladite ville, a baptisé un fils de Luis de Zurbaran et de sa femme Isabel Marquez. Les parrain et marraine furent Pedro Garcia del Corro, prêtre et la sage-femme, Marie Dominguez, auxquels ont été rappelés les obligations et liens qu'ils contractent. L'enfant a reçu le nom de Francisco". Il est confirmé un an après sa naissance par un évêque irlandais réfugié, avec ses frères et sœurs et tous les enfants du pays nés depuis la dernière visite épiscopale, dix ans auparavant. 

Son père, Luis, est "tendero", boutiquier : dans sa "tenda", on trouve un peu de tout, épicerie, mercerie, droguerie, et sans doute aussi des couleurs. Très vite, l'enfant reçoit des leçons d'un artisan local, et, à 15 ans à peine accomplis, son père l'envoie à Séville pour poursuivre ses études. Le 15 janvier 1614 il est confié pour 3 ans au peintre Pedro Diaz de Villanueva : le contrat d'apprentissage fait foi qu'il sait déjà fort bien peindre. Le jeune Francisco recevra de son maître le vivre et le couvert, tandis que son père fournira le vêtement et la chaussure. S'il tombe malade, le maître le soignera pendant 15 jours, et ensuite, c'est son père qui assurera les frais des soins. Le maître s'engage à enseigner son art "sans négligence", comme il le sait et sans rien en cacher. Et "pour qu'il enseigne avec plus de bonne volonté", il reçoit 16 ducats payable par moitié, l'une d'avance et l'autre au milieu de l'apprentissage. En contrepartie de quoi l'élève promet de cherche le profit de son maître en tout circonstance, de lui obéir en tout ce qui sera honnête et réalisable, et le père est tenu de réparer tout préjudice qu'il causerait volontairement. Il est par ailleurs convenu que si Francisco veut travailler les jours de fête, tout ce qu'il gagnera devra être pour lui sans que le maître puisse en retenir quoique ce soir. On pense que c'est à cette peinture du dimanche qu'il doit de signer, deux ans plus tard, sa première Immaculée.


Le maître de Zurbaran est un peintre à peu près obscur : pas nécessairement médiocre car à Séville abondent à cette époque les peintre de qualité, mais certainement titulaire d'un petit atelier produisant surtout des images pieuses. C'est de cette époque que date son amitié avec Vélasquez, amitié qui durera jusqu'à l'automne de leurs vies puisqu'en 1658, alors que Vélasquez a besoin de prouver par témoignage qu'il est de sang chrétien pur et n'a jamais commercé pour devenir chevalier de Santiago, c'est à son vieux complice qu'il s'adresse qui assure volontiers que ni lui si ses parents "n'ont jamais exercé aucun métier mécanique ni vil". C'est aussi de cette époque que datent plusieurs toiles restée "indivises" quant à l'attribution à chacun des deux peintres. On peut alors penser que Zurbaran eut ainsi l'occasion de fréquenter l'atelier de Pacheco, où se réunissaient tous les artistes et beaux esprits de Séville, même si (jalousie, inquiétude pour  la carrière de son futur gendre) Pacheco n'en parle jamais. 

Séville est à cette période non seulement une ville de peintres mais aussi la métropole d'une très brillante cole de sculpture. Et s'il n'est nullement prouvé que Zurbaran ait pratiqué durant son apprentissage ce genre de travaux, la monumentalité de nombre de ses compositions montre combien il fut influencé par l'ambiance sévillanne.


Il a moins de 19 ans lorsqu'il se marie, vraisemblablement en 1617 puisque le 22 février 1618 sa première fille Maria, est baptisée. Bientôt suivie de Juan, le 19 juillet 1620 et d'Isabel Paula, le 13 juillet 1623. Sa première femme, Maria Paez, frise la trentaine. Elle appartient à une famille modeste de Llerana, où le jeune couple s'installera. Son père est "châtreur de porc" un de ces vils métiers dont il était question plus haut. Elle meurt quelques années plus tard, peut-être à la naissance de sa seconde fille, en tout cas dus 1625, il apparait que Zurbaran a une autre épouse. Beatriz de Morales, toujours âgée de 10 ans de plus que lui, est veuve et, de ce second mariage ne naîtra qu'une fille Jeronia, qui dut mourir en bas âge puisqu'on n'en entend plus parler dans les actes notariaux ultérieurs.

Durant toute cette période, il est évident que le peintre, ne serait-ce que pour nourrir sa famille, vécut de commandes locales, décor d'une porte de la ville, dessin pour une fontaine de la ville, décor du piédestal d'une statue processionnelle pour la Confrérie Madre di Dios, retable pour une église de Fuente de Cantos et quelques rares tableaux, comme un Christ à la colonne et bien sûr la toute première Immaculée de 1616.


C'est à partir de 1626 que sa carrière commence véritablement avec la commande, signée le 17 janvier avec le prieur dominicain du couvent San Pablo el Real, de vingt et un grands tableaux – quatorze scènes de la vie de saint Dominique et sept Pères de l'Église – à exécuter en huit mois pour la somme modeste de 4 000 réaux (1). De plus, l'artiste précise : « Au cas où certaines [de ces peintures] ne donneraient pas satisfaction audit père supérieur, elles pourront m'être retournées, je consens à l'accepter et à recommencer ». Les deux années suivantes sont décisives : de provincial inconnu Zurbaran passe au rang de jeune maître, et dès lors, les commandes pleuvent, le fixant pour longtemps à Séville. Les cycles monastiques se multiplient, quatre grandes toiles pour les franciscains conventuels (1628-1629), vingt-deux scènes de la vie de saint Pierre Nolasque (1628-1634) pour le couvent de la Merci chaussée (actuel musée des Beaux-Arts), un retable pour les trinitaires chaussés (1629), des grands tableaux d'autel pour les jésuites (1630) et les dominicains de Santo Tomas (1631), de nombreuses œuvres pour des églises et plus tardivement l'extraordinaire décor de la chartreuse de Cuevas (1655). Et en juin 1629 le Conseil municipal de Séville, désireux que le peintre reste dans la ville, lui offre un poste "subventionné" de peintre de la ville. Les années qui suivent voient la réalisation de nombre d’œuvres maîtresses, et d'ensembles importants.


En 1634, sans doute à l'instigation de Vélasquez, il se rend à Madrid pour participer au décor du Salon Grande du nouveau palais royal du Buen Retiro. Il y peint deux grandes Batailles et dix scènes des Travaux d'Hercule. Mais, discret, un peu sauvage et désorienté dans la jungle courtisane, il est pressé de regagner Séville, où il s'honore du titre de « peintre du roi », et où il rapporte des inspirations venant des peintures admirées à la cour et chez les nobles madrilènes. Sollicité sans relâche par les communautés d'Andalousie ou d'Estrémadure, il réalise de nombreux décors religieux, dont seul demeure en place celui de la sacristie du monastère hiéronymite de Guadalupe (1638-1645). Son style, sans rupture, se transforme : les mêmes éléments, les mêmes types, les mêmes thèmes réapparaissent mais avec plus de plénitude, plus de velouté, plus de maturité. 


Durant ces années deux faits marquants marquent un tournant de sa vie familiale : deux de ses enfants quittent le foyer paternel. Sa fille aînée se marie et il doit emprunter pour la doter. Mais surtout, le 29 mai 1639 sa seconde épouse meurt : la blessure qu'il éprouve sera longue à cicatriser et ouvre la parenthèse de 10 années déconcertantes. Le flot pressé des commandes semble ralenti, sinon tari. La mort de son épouse provoque, outre une réelle peine, un pénible conflit d'intêret avec la plus jeune de ses filles et la succession est épineuse. Juan, son fils, devenu "mondain" (il se fait appeler Don Juan) s'émancipe : il fréquente une Académie de danse à la mode, se révèle des dons de poète (contourné et hyperbolique) et affiche même des prétentions nobliaires. Zurbaran quitte la maison où il a vécu heureux avec Beatriz de Morales, pour d'ailleurs y revenir bien vite et se remarier au début de 1644. Cette fois-ci il épouse encore une veuve, mais beaucoup plus jeune que lui : il a 46 ans et Leonor de Tordera en a 28. Une nouvelle vie s'organise, il change encore de maison, fait dans sa nouvelle demeure des travaux somptuaires, terrasses, grilles, boiseries, qui  représentent de lourds investissements !! Et les enfants naissent, en "rangs serrés" : Micaela Francisac le 24 mai 1645, José Antonio le 2 avril 1646, Juana Micaela le 9 février 1648, et Marco le 9 avril 1650. Tout cela coûte fort cher, et il doit monnayer sa renommée et "industrialiser", trop à son gré, sa production. Les commandes monastiques se raréfiant au point de disparaître, il se tourne vers une autre clientèle, privée et, en très large mesure, américaine. Le marché colonial, sans doute moins exigeant, rémunérateur et suivant de moins près la mode (des jeunes aux dents longues plaisent mieux aux confréries séduites par Murillo) prend de plus en plus de place dans son carnet de commande. C'est ainsi qu'en 1648, il s'engage à réaliser pour l'abbesse de la Encarancion de Lima un cycle de dix scènes de la vie de la Vierge et "24 vierges en pied", thème qu'il reproduira d'ailleurs par la suite. Ainsi, un contrat de 1649 lui donne reçu pour Felipe de Atienza Ibanez de Buenos Aires d'un chargement de tableaux "15 Vierges Martyres, 15 rois et personnages fameux, 24 saints et patriarches, 9 paysages flamands (??), six livres de couleurs et des toiles". Sa jeune épouse et sa petite nichée entraînent de sérieux frais ! L'exécution de ces toiles est, on s'en doute, fort inégale, et si certaines versions comptent parmi ses chefs d'oeuvre, des séries entières se révèlent assez pauvres, sèches et sans doute peintes entièrement par ses élèves. Vraiment apprécié par ces exilés pour lesquels il reste le grand peintre sévillan, ces commandes finissent elles aussi par diminuer.


En 1649, une grave épidémie de peste bubonique s'abat sur Séville, et il perd son fils, enterré le 8 juin : le coup est dur car Juan travaillait avec lui, spécialisé en particulier dans les natures mortes. Ses moyens diminuant, il change encore un fois de maison, pour un logis plus modeste, mais les économies sont insuffisantes, et deux enfants supplémentaires viennent augmenter une maisonnée déjà lourde à entretenir : Eusebio naît le 8 novembre 1653 et Augustina Florencia le 2 novembre 1655. Il est temps de réagir : courant 1658, Zurbaran quitte Séville, pour Madrid, sans doute assuré de l'amitié et du soutien de Vélasquez qui occupe la charge envie d'"aposentador mayor", et lui procure des commandes. Il apporte aussi quelques tableaux de Séville qu'il vendra sans problème. Le séjour à Madrid se prolonge, même si le peintre se considère toujours comme "citoyen de Séville". On a volontiers dit que sa peinture tardive, influencée par la mode impulsée par Murillo, se serait affadie mais ses dernières peintures gardent sa touche particulière, une réserve mélancolique que le protège de toute fadeur. Il meurt le 27 août 1664, laissant peu de bien, nombre de ses meubles ayant été mis en gage durant sa maladie. 


On ne dispose quasiment d'aucune effigie de lui, sauf le petit crayon du Louvre qui semble la reproduction du seul véritable portrait de lui. Mais on peut cerner assez bien le moral du personnage : simple et droit, profondément croyant, artisan consciencieux, dur au travail et médiocrement instruit, c'était avant tout un homme d'intérieur, aimant son foyer et ses proches. Affectueuse et timide, il était, dans la vie sociale, modeste, loyal et discret. Il mena une vie calme, sans aspérités à part, bien sûr les douleurs et les deuils communs, une gloire précoce et une vieillesse solitaire. Ses toiles, intérieures, lumineuses et pleines "d'âme", le décrivent mieux que de trop romantiques discours.



La plupart des reproductions de ces articles proviennent de Wikipaintaing ou du site de l'exposition Zurbarán de Ferrare
Ouvrages utilisés pour les données historiques et biographiques : Zurbarán par Paul Guimard aux Editions du temps et le catalogue de l'exposition Bozar.

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(1) à titre de comparaison, un contemporain de l'artiste, Francisco Varelo s'engage au même moment à peindre 3 figures de saints isolées pour 1650 réaux.

4 commentaires:

  1. Merci Michelaise du plaisir que tu nous donne en revenant sur la vie et l'oeuvre de Zurbaran, c'est aussi un peintre que j'adore depuis très longtemps, et partout où je vais je m'informe : voyons voir, y a-t-il un Zurbaran dans le coin ?....

    A Séville j'ai été gâtée, la puissance et la beauté de ses œuvres sont éclatantes, j'ai vécu de grandes émotions.

    Grosses bises du jour.



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    1. AH que oui Danielle, tu as eu la chance de les voir "in situ" !! C'est aussi un peintre que j'aime vraiment depuis longtemps, il se dégage une telle paix de ses toiles... Ravie de t'évoquer de bons souvenirs. L'article a été écrit suite à la visite de l'expo de Bruxelles : c'est pas très loin pour toi !! Voir les infos dans le premier article.

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  2. Michelaise, "in situ" non, j'ai vu ces oeuvres au musée des Beaux arts de Séville, mais la mise en scène du Christ en croix notamment est extraordinaire, j'ai mis deux photos dans un de mes posts sur mon blog en janvier qui s'appelle "les orangers de Séville" :-))

    Bruxelles n'est pas si loin c'est vrai, mais avant, je passe par New York !!!

    Bises du jour.

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    1. Eh eh New York, ça se défend Danielle, tu vas en rapporter des images sans doute moins séduisantes que les orangers de Séville mais avec un autre charme !!

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