samedi 19 juillet 2014

LA COLLECTION PEARLMAN A AIX - L'esprit d'une collection (2)

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Nous sommes à la fin des années 40. Henry Pearlman se passionne toujours autant pour Soutine dont il a tenté, lors de son passage en 1948 dans le midi de la France d'identifier les sites où les paysages qu'il a acquis auraient pu avoir été réalisés. Sa passion pour le peintre russe l'amène à lire de nombreux ouvrages sur sa vie et son oeuvre et c'est ainsi, semble-t-il qu'il découvre Modigliani. C'est ainsi qu'il achète en 1949 le portrait du sculpteur russe Indenbaum réalisé par l'artiste, et, peu après, parvient à rencontrer le modèle en personne. C'est bien dire combien il aimait à découvrir les "derrières" de la toile, ses secrets, l'instant de sa conception et de sa réalisation. C'est le sculpteur, déjà âgé, qui raconte à Pearlman l'histoire de la création de la toile. C'est un soir de décembre 1916 que Modigliani, un peu éméché, propose au sculpteur dont il était l'ami, de faire son portrait. Les deux jeunes hommes faisaient partie d'un groupe de jeunes artistes, souvent juifs, et ils se voyaient d'autant plus souvent que Madame Indenbaum jouait de l'harmonium ! Modi aimait à venir l'écouter, installé sur un sofa et en buvant du thé ! Toujours est-il que le lendemain matin de ce soir d'hiver 1916, Modigliani arrive à l'heure dite chez le russe, armé de ses tubes et de ses pinceaux et prêt à peindre. Mais sans toile ! Indenbaum avait dans un coin une toile sans grand intérêt, qui n'avait pas trouvé acquéreur à une vente de charité, une nature morte, et que le peintre décida d'utiliser pour le portrait. Il travailla avec beaucoup de concentration  durant trois jours, et, quand ce dernier fut achevé, Indenbaum qui le savait sans le sou, lui proposa de l'acheter. Ce qui le peintre, fauché mais grand prince, refusa hautement, préférant l'offrir à son ami. Malheureusement le sculpteur lui-même n'était pas très argenté, et quelques temps après, aux abois, il vendit la toile pour 4 francs. Modigliani, quand il le lui avoua, ne s'en offusqua guère et promit de lui en faire un autre, promesse que sa mort soudaine ne lui permit pas de tenir.


Le portrait de Cocteau que Pearlman acheta peu après relève d'une autre logique artistique. Ce n'est plus un cadeau d'amitié mais une sorte de désir d'être présent sur la scène artistique grâce à une oeuvre majeure. On est toujours en 1916. Cocteau, de retour dès avril du front où il s'était engagé comme ambulancier, fréquente l'atelier du peintre Moïse Kisling où se retrouvent Picasso et d'autres peintres cubistes et avant-gardistes, en train, selon le peintre espagnol, de "fomenter une révolution". Et c'est alors à  une sorte de concours que, prenant l'écrivain pour modèle, se livrent Kisling et Modigliani. Dans ses deux portraits par ces artistes, Cocteau est assis sur le même fauteuil, une sorte de voltaire couvert de velours rouge. Si la mise en espace de Modigliani est nettement plus resserrée que celle de Kisling, on distigue très nettement derrière l'écrivain le cadre de la fenêtre et l'on devine la table posée entre les deux. Blaise Cendrars, et le poète Reverdy étaient également présents et ce dernier dit avoir rencontré ce jour-là Cocteau pour la première fois. 
Cocteau, vêtu avec recherche en dandy, élégant costume bleu marine, col dur, pochette et nœud papillon. Les deux toiles, quoique "parallèles" sont très dissemblables : alors que Kisling peint le poète par en-dessus, un peu perdu dans son grand atelier, Modigliani le représente en cadrage serré, et en contre-plongée, accentué sa "majesté" ou, si l'on préfère, son air hautain. Les témoins de cette scène racontèrent que Cocteau babillait, et que personne ne l'écoutait trop, tant ses propos étaient suffisants et sans grand intérêt. Reverdy dit que sa voix était aussi forte que la pluie qui frappait le carreau ! Il semble que le dandy fut quelque peu vexé de la bosse proéminente dont Modigliani affligea son nez, et n'aima guère ce portrait qu'il acheta, certes, mais auquel il renonça. Il faut dire que l'oeuvre est sans concession et qu'on y lit, avec limpidité, l'élégante fatuité et l'exaspérante vanité du modèle. Cocteau déclara tout de go que cette toile était plus un Modigliani que son portrait, selon lui, bien peu ressemblant.


C'est en 1950 que notre collectionneur acheta ce Van Gogh, une des toiles les plus prestigieuses de sa collection auprès d'un marchand sud-américain. Il offrit plusieurs peintures et une énorme somme d'argent pour se procurer cette Diligence de Tarascon, une oeuvre dont la localisation était inconnue au moment de la rédaction du catalogue raisonné et miraculeusement retrouvée chez les héritiers de Milo Beretta. Ce fut le dernier Van Gogh "retrouvé" avant longtemps (1) ! Il écrivit immédiatement au neveu du peintre pour lui faire part de son acquisition et lui demander son avis sur les meilleures conditions de conservation.


La toile, malgré sa réapparition tardive, semble parfaitement authentique.  Dans une lettre à Théo, Vincent écrit, le 13 octobre 1888 "As-tu déjà relu les Tartarin (2)... te rappelles-tu ... la complainte de la vieille diligence de Tarascon... Eh bien, je viens de la peindre cette voiture rouge et verte dans la cour de l'auberge. Ce croquis hâtif t'en donne la composition. Avant-plan simple de sable gris. Fond aussi très simple, murailles roses et jaunes avec fenêtres à persiennes vertes, coin de ciel bleu. Les deux voitures très colorées, vert, rouge, roues jaunes, noir, bleu, orangé... Les voitures sont peintes à la Monticelli, avec des empâtements. 


Peut-être le tableau auquel fait allusion Van Gogh : la critique n'est pas unanime sur ce point.

Tu avais dans le temps un bien beau Claude Monet représentant 4 barques colorées sur une plage. Eh bien c'est ici des voitures mais la composition est dans le même genre". On reconnait ici la modestie et le doute permanent de l'artiste : "à la Monticelli, selon une composition à la Monet"... il ne se prend pas pour le plus grand, il admire ses confrères !!


La voiture, garée dans la cour sablonneuse de l'Auberge de la Poste, au 7 rue du Marché Neuf, est peinte en vert, avec un bandeau rouge qui indique sa destination : "Service de Tarascon". L'autre voiture, plus petite, qui se trouve derrière, est certainement une chaise de poste. D'après les ombres et les persiennes closes, on est sans doute en début d'après-midi, c'est l'heure de la sieste et tout est désert.


Contrairement à d'autres toiles de l'artiste comportant aussi des véhicules à chevaux faisant partie du décor (comme Les Roulottes, campement de bohémiens aux environs d'Arles), celle-ci met les voitures en valeur, en faisant presque leur "portrait" : on a l'impression que les deux chariots sont en train de bavarder! La peinture est posée en couches épaisses et grasses : de petites taches courtes qui évoquent la texture du sable ou le crépi irrégulier du mur de l'auberge, ailleurs, pour les plis lourds de la bâche  de la chaise de poste du fond, ce sont des trait plus larges et longs, pour la diligence, la texture est plus lisse, évoquant la peinture laquée des véhicules.


Cette figure nostalgique qui dépeint des pratiques en train de disparaître était bien dans la manière de Van Gogh : comme les métiers à tisser qu'il avait peint en 1884, ou les barques de pêcheurs de bois qu'il peignit aux Saintes Maries de la mer, la même année. Alors qu'il aimait aussi à représenter les signes de la modernité, comme le Pont de Trinquetaille représentant un pont de fer construit en 1875, ou un Viaduc qui montrait le train passant au-dessus de l'avenue de Montmajour, il lui plaisait parfois de parler d'un passé qui s'enfuyait. Ces deux vieilles dames évoquant pendant la pause, on ne peut en douter, leurs souvenirs d'antan, ces "pataches vertes aux dures roues de bois jaune (3)" furent d'abord offertes par Père Tanguy à  un sculpteur italien, Medardo Rosso qui les prêta pour la première exposition Van Gogh organisée par Vollard en 1895 à Paris. Puis il le donna à son élève Milo Beretta qui l'emporta en Argentine. C'est là que Pearlman le retrouva auprès d'une marchande d'art qui l'avait acquis des héritiers de Beretta.


En novembre de cette même année 1950, Pearlman acheta sa première oeuvre de Paul Cézanne, une aquarelle intitulée La Citerne du Parc de Château Noir, et ce fut le début de sa passion pour Cézanne

A SUIVRE



(1) Le dernier en date l'aurait été par le fisc espagnol en mai 2014 !! Le précédent sortit d'un grenier en 2013.
(2) Publié en 1872, soit seize ans avant le séjour de Van Gogh à Arles. En 1888 ce type de transport était encore plus un anachronisme que lorsque Daudet le décrivit et ne servait plus que pour desservir les petits villages qui n'étaient pas sur la ligne de chemin de fer.
(3) Selon Thadée Natanson dans la Revue Blanche du 15 juin 1895

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