mardi 16 juin 2015

De Cimabue à Morandi : du jamais vu ! (1)

L'oeuvre qui, à mon sens, illustre le mieux le côté un peu artificiel de cette exposition : cette statue de saint de Giovanni du Baduccio (documenté à Pise de 1318 à 1340) est vraiment une oeuvre de grande qualité et qu'on prend plaisir à admirer. Mais elle est réalisée par un toscan et plus pisane que nature !! Rien de bolognais dans ce marbre !! Quant au saint représenté, il est "revu et corrigé" pour l'occasion : alors qu'on y voyait traditionnellement saint Nicolas, les commissaires de l'exposition eux, veulent identifier San Pétronio, autant dire le saint protecteur de Bologne. D'où la présence de l'oeuvre à l'entrée de l'exposition !!

L'exposition a été prolongée jusqu'au 30 aout 2015 et se tient à Bologne, au Palazzo Fava. Elle regroupe, c'est un fait, un nombre impressionnant de chefs d’œuvres et , pour cela, vaut largement la visite. L'objectif annoncé est de rassembler en un seul lieu, le superbe palais aux fresques multiples, ce qui a été réalisé de plus important dans le domaine de l'art à Bologne depuis plus de sept siècles. Les peintures, de Cimabue à Morandi , mettent en évidence la spécificité de la ville et montrent son importance dans l'histoire de l'art italien. Reprenant le titre d'un ouvrage de 1140 pages de Roberto Longhi, la manifestation se pose aussi en hommage au célèbre critique d'art.
Pourtant ce type d'exposition, simplement chronologique et balayant large, laisse après un visite, un petit goût de fouillis. Cela ressemble à la visite d'un musée : un très beau musée certes, regroupant des pièces de première importance (La madonne de Cimabue (documenté à partir de 1272 - 1302), en provenance de l'église bolognaise de Santa Maria dei Servi... 


.... la délicate Vierge à l'enfant de Vitale da Bologna (documenté de 1350 à 1359, mort en 1361) de 1330-1340, prêtée par la fandation Carisbo, de Bologne ...


.... les deux Saint Dominique en terre cuite de Niccolò dell'Arca (Puglia 1435/1440 - Bologna 1494), l'un de "jeunesse" datant de 1474 et prêté par la fondation Cavallini Sgarbi de Ferrare, l'autre plus tardif, 1493, conservé au musée de l'église San Domenico de Bologne ...


... les deux merveilleux tondi de l'Annonciation peinte par Ercole de' Roberti (Ferrare 1450 - 1496) qui sont d'ordinaire à l'Institut supérieur d'études religieuses "Villa Cagnola" à Gazzada (province de Varese)...


... la très jolie Vierge à l'Enfant de Cima da Conegliano (Conegliano 1459 - 1515/1516) qui se trouve à la pinacothèque de Bologne ...


... la toute douce Annonciation de Guido Reni (Bologne 1575 - 1642), de 1629, restaurée par la Pinacothèque d'Ascoli Piceno en vue de cette exposition ...


... et la très classicisante Extase de Sainte Cécile de Raphaël (Urbino 1483 - Rome 1520) qui a fait le voyage depuis la National Art Gallery sont parmi les plus frappantes) mais un musée tout de même. Avec ce que cela a de difficile, voire de complètement déraisonnable que de vouloir apprécier, avec la même intensité des toiles allant du XIIIe au XXe siècles, et passer de Cimabue à Morandi, même après moult étapes intermédiaires relève du défi ! On a rapidement l'esprit confus et l'évolution esthétique est trop rapide pour qu'on en tire vraiment profit. On admire, bien sûr, mais avec une impression de confusion qui ôte à la démarche de spectateur tout sens véritable. On est passif et la visite ne laisse qu'une impression de "défilé" qui peut, à la longue, se révéler plus fatigante qu'enrichisssante.

Et, forcément, sauf à faire du "catalogue", le compte-rendu de ce genre de manifestation est délicat à faire, au risque de faire sombrer ses lecteurs dans l'ennui qui suit souvent l'énumération. Je vous propose donc de commencer notre "visite" en nous arrêtant devant les toiles dont le thème, inhabituel, anecdotique ou plaisant, a retenu mon attention.


Commençons par la délicieuse fresque de Vitale da Bologna, dite depuis qu'elle a été restaurée "Vierge brodant". Par une de ces démarches dont les italiens sont friands, ils ont créé sur cette oeuvre, fort intéressante d'un point de vue artistique, le buzz : une exposition, un livre lui ont été dédiés au motif qu'on aurait découvert qu'elle serait en train de broder. Les "Vierge laborieuse" existent dans l'iconographie italienne et l'idée plait, car elle introduit dans un sujet abstrait un élément quotidien et affectif qui touche le public moderne.


Les "découvreurs" s'appuient, pour étayer leur thèse, sur deux points essentiels : une étude "en relief" réalisée par une entreprise qui s'est spécialisée dans ce genre de "reproductions tactiles" à destinations des aveugles. Relief qui permet aux non-voyants d'en voir bien plus que nous, car, vous l'avez déjà compris, je ne suis guère convaincue par la présence de ce fil tellement ténu que j'ai eu beau coller mon oeil et mon objectif sur la toile, je n'ai rien aperçu !!

En haut ma photo, prise sur place et dessous, une capture d'écran du petit film dans lequel la "découverte" est racontée. 

Le deuxième argument serait la présence d'une aiguille dans la main droite de la Vierge : une "légère" trace sombre serait, selon les restaurateurs, le dessin de cet outil de couture et le geste de l'index et du pouce, la preuve que Marie serait en train de "tirer l'aiguille". J'avoue que là encore, avec la meilleure volonté du monde, je ne vois strictement rien et que, par contre, je connais bien ce geste de pudeur de la Vierge ramenant son manteau autour de son cou pour le fermer. On le voit sur de nombreuses Madone à l'Enfant (même si je n'ai pas été capable d'en trouver, j'en ai souvent croisé dans des musées !).

En haut ma photo, prise sur place et dessous, une capture d'écran du petit film dans lequel la "découverte" est racontée. 

Seul le dernier argument pourrait être convaincant. Il s'agit de la présence entre la mère et l'enfant d'un tissu assez riche, différent de ceux qui habillent chacun des personnages de la scène et qui serait la broderie en cours. J'ajoute que le fait que l'enfant, déjà grand, ne soit pas dans les bras de sa mère, mais à côté d'elle, affectueux et attentif pourrait, lui aussi, venir étayer le titre de Vierge de la broderie. Il s'agirait alors d'une de ces adorables scènes destinées à émouvoir les fidèles par la proximité humaine de la famille divine. Un sentimentalisme qui se manifeste souvent dans les représentations de Vierge à l'Enfant.


Je me suis ensuite arrêtée sur cette très moderne Sainte Famille, dite Madonna del bucato (de la lessive) (Florence Musée des Offices), une toile de Lucio Massari (Bologne 1596 - 1633) où toute la maison s'y met pour faire laver le linge :


pendant que Marie frotte, courbée sur son baquet ....


... et que Jésus essore le linge avec application ...


... ce bon vieux Joseph l'étend sur une vaste corde (il semble même qu'un drap soit troué : il laisse passer une branche d'arbre ! on n'est pas riche chez les fuyards en Egypte !) ...


... et, tourné vers nous, semble prendre à parti le spectateur en lui montrant combien il prend son rôle de père adoptif au sérieux ! Voilà bien un homme serviable !


Nous retrouvons les mêmes personnages dans cette Sainte Famille de Giovan Francesco Bezzi (Bologne ? 1530 - Bologne 1571) dit Il Nosadella. 


Ici, Jospeh est fatigué, faut dire qu'entre les anges et son charmant mouflet, cela doit faire pas mal de tintoin, et le vieil homme dort, effondré sur l'avant du tableau, il n'en peut plus !!




Les anges, parlons- en !! regardez les galopins : ils sont entrés par la fenêtre, et l'un d'entre eux est lisse ses ailes pendant que le dernier est encore en train d'escalader le fenestron !!


Pas malin tout cette agitation : le bébé Jésus, tout rose et hilare, semble bien excité par cette joyeuse invasion, il gigote dans les bras de maman qui a bien du mal à éviter qu'il tombe, et on le sent prêt à rire aux éclats !!


Quant à Marie, pragmatique et sereine, elle se tourne vers nous pour nous faire admirer sa patience : pas facile tous les jours d'être la maman du Fils de Dieu !


La dernière toile dont je vais vous parler, est d'Agostino Carracci (Bologne 1557 - Parme 1602) : Arrigo Peloso, Pietro Matto, Amon Nano et autres bêtes (1598-1600) rentre dans la lignée de ces peintures qui marquent le goût qu'avaient les puissants pour les êtres difformes, dont la laideur les fascinait au point de faire peindre leur portrait par leurs artistes favoris. Les trois personnages identifiés du tableau vivaient à la cour des Farnèse où ils jouaient le rôle de "curiosités vivantes". Comme on aimait avoir des animaux exotiques, on appréciait aussi les humains contrefaits, et on les montrait fièrement à ses visiteurs.


Arrigo Peloso, le velu, souffrait d’hypertrichose : un dérèglement hormonal qui se manifeste, chez l’homme ou la femme, par une pilosité envahissante sur une partie du corps ou sa totalité. Le terme est issu du grec hyper : « avec excès », et thrix, trikhos : « poils ». C’est une maladie congénitale rarissime. Et les "hommes ou femmes-singes" ainsi que les appelaient les anciens, étonnaient au point qu'on les portraiturait comme des curiosités.
Arrigo appartenait à une famille originaire des îles Canaries. Son père Pedro Gonzales avait  été rapporté comme un cadeau au roi de France Henri II et avait grandi comme un parfait serviteur de la cour. Marié à une jeune française, leurs enfants qui souffraient de la même maladie que le père furent vendus à d'autres familles nobles.


Antoinette Gonzales, dite Tognina, fut ainsi portraiturée par Lavinia Fontana en 1594, et l'on voit qu'Agostina Carracci, qui fit pour cette toile de nombreux dessins préparatoires, tenta d’adoucir les disgrâces de ses sujets afin de ne pas trop heurter ses spectateurs.
Près d'Arrigo, Pietro Matto, le fou, grimace et semble dire mille bêtises. 


Le troisième larron, jambes torses et vêture bariolée, est à peine plus haut que le chien qu'il enlace : c'est Amon Nano, le nain, dont le caractère facétieux est souligné par la présence d'un perroquet gourmand perché sur son épaule. 


Le titre du tableau (... e altre bestie) et la présence d'une mini-ménagerie, singes, chiens et oiseau) montre bien en quel piètre estime on tenait ces malheureux infirmes, les mettant au même rang que les animaux domestiques : charmants mais bizarres. Ce tableau m'a rappelé celui de José Conrado Rosa, vu récemment à La Rochelle.

A suivre : 

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