samedi 8 août 2015

Canaletto à l'Hôtel de Caumont, Aix en Provence (3) Technique et suiveurs



Les dessins occupent une place centrale dans l'oeuvre de Canaletto. Certains sont de simples esquisses, alors que d'autres sont des oeuvres à part entière. A partir de 1720 le peintre met au point sa méthode de travail afin de répondre au mieux aux très nombreuses commandes qu'il reçoit. La Galleria dell'Academia de Venise possède 7 carnets de croquis réalisés sur le vif.
Canaletto ne peignait pas en plein air mais utilisait, comme nombre de peintre d'ailleurs, une chambre noire pour ses croquis. C'est une structure de bois, parfaitement close par un rideau noir et percée d'un trou unique, permettant de capter les rayons lumineux émis par les objets et de les projeter sur la paroi opposée. On obtient alors une image réduite et inversée du paysage environnant.

L'image de la camera obscura ...
... et "la vraie" image !


Le principe, identique à celui de la vision humaine, est connu depuis Aristote. Repris au Xe siècle par un mathématicien arabe, Alhazen (965-1039), il est très utilisé à partir du XVIe en Occident par les peintres, architectes et physiciens, d'autant que les progrès de la perspective et de l'optique permettre perfectionner la technique.


Au XVIIIe, la camera obscura peut se présenter sous la forme d'une tente noire dans laquelle l'artiste pénètre pour tracer les contours de l'image projetée sur une paroi (un miroir placé à l'extérieur permettant de redresser l'image), ou, à l'inverse, d'un petit appareil portatif comme celui présenté à l'exposition et conservé par le musée Correr : on dit que Canaletto l'utilisait pour partir, en gondole, croquer Venise !!


Certains dessins de Canaletto fournissent de précieuses indications sur la manière dont il travaillait. Il prenait de nombreuses esquisses sur le vif, utilisant pour ce faire les procédés de construction classiques de la perspective, mis au point dans les années 1720 : traçage sous le dessin, pour le mettre en place, de nombreuses lignes de fuite, tirées au crayon et à la règle. Sur le dessin ci-dessus, on distingue sous les traits à la plume, les traits de préparation, les détails croqués en marge, le plan de l'édifice, quelques mots ...

Le Palais Foscari (vers 1758, Trieste Galerie nationale d'art antique)

Le dessin du palais Foscari, esquisse dont on sait qu'elle fut exécutée grâce à la camera obscure, comporte de nombreuses inscriptions précises, qui indiquent les gradations des couleurs et les matériaux des murs. C'est une étude pour le Grand Canal vu du palais Sagredo au Rialto, commandé vers 1758 par un marchand berlinois. Coto, bianco, cenerin, macchie zale, coto bel chiaro, signes, lettres ... tout est prêt pour la mise en couleurs !

Venise, vue de l'intérieur de Saint-Marc (vers 1766, Londres Victoria et Albert Museum)

La vue intérieure de la Basilique Saint Marc, un dessin à la plume et à l'encre brune, où l'on voit des traces de crayons noir et rouge (voir plus haut, le détail), présente aussi de nombreuses incriptions : à la plume sur l'arcade du transept nord "largo a misura giu.", au milieu de la balustrade en-dessous de l'arc "5" ou "S", au pied de la chaire "faea e uguali", sous la chaire "manco sofito"  au-dessus de l'iconostase "più largo".


Les esquisses servaient ensuite à faire des dessins préparatoires, où il n'hésite pas à aménager un peu la réalité à sa façon, en rapprochant par exemple des éléments distants les uns des autres. Ce sont des oeuvres à part entière et ils étaient aussi utilisés comme modèles par le maître et son atelier, pour créer différentes versions de la même vue. Véritables sources d'inspiration soigneusement conservés, ces dessins peuvent être réactivés à plusieurs années, voire plusieurs décennies de distance.


Tout ce travail d'organisation qui permettait au peintre et à ses aides de répondre au mieux aux nombreuses commandes qu'ils recevaient, va former une sorte de tradition de védutistes, deux d'entre eux étant particulièrement proches de sa manière et de ses habitudes de représentation.
Lorsque Canaletto revient à Venise, vers la fin de 1755, il y trouve un marché de l'art qui a changé. Après la fin de la guerre de Succession d'Autriche, en 1748, le contexte international s'est apaisé et les clients étrangers ont recommencé à affluer. Profitant de l'absence du maître, plusieurs nouveaux peintres ont émergé pour satisfaire la demande, et parmi eux, le plus talentueux fut certainement Francesco Guardi.
Le goût de la clientèle, de son côté, avait aussi évolué, et on repère chez Canaletto lui-même une inflexion dans la manière de peindre, dans le choix des sujets et l'influence de ce que fait le jeune Guardi ou son propre neveu. Il use d'un pinceau plus léger et plus fluide, et consacre plus d'attention que jamais à la lumière. Malgré les modes nouvelles, et grâce à sa souplesse, Canaletto reste le maître incontesté. En 1763, il est élu à l'Académie de peinture et de sculpture de Venise. Pourtant, malgré son succès, jamais démenti, il semble avoir toujours mené un train de vie modeste, et lorsqu'il meurt en 1768, il laisse fort peu de biens.

Venise, Caprice avec une maison sur la lagune, 1745-1746 par Bernardo Bellotto
Parme Galerie Nationale

Le premier de ses "suiveurs", Bernard Bellotto (1722-1780), était son neveu : fils de Lorenzo Bellotto et de Firoenza Canal, la soeur de Canaletto, il entre dès 1735 dans l'atelier de son oncle et se forme auprès de lui. Ses premières oeuvres sont, forcément, proches de lui mais il tisse rapidement un style propre. En 1747, alors que Canaletto est à Londres depuis 3 ans, Bellotto se rend en Europe Centrale où il peint pour les cours : celle de Dresre, auprès d'Anguste III roi de Pologne et électeur de Saxe, celles de Vienne et de Munich. Entre 1762 et 1766, il séjourne à Dresde et y enseigne la perspective, puis part à Varsovie où il passera les dernières années de sa vie comme peintre du roi Stanislas II de Pologne.
Souvent, il signe sous le nom de son oncle et il peint de grands tableaux des villes dans lesquelles il résidé, témoignant d'une grande maîtrise de la perspective et de la représentation des détails architecturaux. Il contribue à diffuser l'art vénitien et le genre de la veduta dans les capitales européennes.

Venise, les Fondamenta Nuove avec la lagune et l'île San Michele - Francesco Guardi, vers 1757
Une des premières œuvres du peintre en tant que védutiste : la mer et le ciel se disputent les bandes de terre qui encadrent ce délicat paysage vénitien. Les maisons, les embarcations et les personnages qui les encombrent sont décrits à la pointe du pinceau, avec précision mais sans lourdeur. Au blanc des voiles répondent les cimes enneigées au-dessus desquelles s'accumulent de légers nuages qui parsèment le ciel. On sent déjà dans cette toile ce style atmosphérique qui fera sa personnalité dans les années qui suivent.

L'autre concurrent célèbre de Canaletto est Francesco Guardi (1712-1793). L'influence de Canaletto sur Guardi est incontestable, il se pourrait même que ce dernier ait été son élève peu après son retour d'Angleterre, vers 1755-1757. C'est la période où Guardi, déjà âgé de plus de 40 ans, se met à peindre des vedute. En effet, fils de peintre, avant cette période Guardi s'était d'abord consacré à la peinture religieuse et d'histoire, notamment en collaboration avec son frère aîné qui avait repris l'atelier paternel.  En tant que védutiste, il rencontre immédiatement le succès et, comme Canaletto avant lui, il va plaire à Joseph Smith et recevoir, grâce à lui, nombre de commandes de clients anglais. Pourtant le style des deux hommes va progressivement se différencier : Guardi prend plus de liberté avec la topographie, est plus sensible aux variations d'atmosphère et développe un style bien personnel qui fait qu'on les confond rarement.

1 commentaire:

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